On pour­rait con­tester la qual­ité de « poèmes » aux textes que Corinne Hoex rassem­ble dans ce petit livre élé­gant et dro­la­tique. Ils sont quelque­fois écrits en vers cepen­dant et cer­tains d’entre eux pos­sè­dent la lim­pid­ité lap­idaire des apho­rismes. Mais on trou­ve égale­ment dans ce recueil des petits réc­its féro­ces, des micros nou­velles, des sou­venirs aigus, et cer­tains frisent la recette de cui­sine, avec, mine de rien, tout juste assez d’épices ver­bales pour tourn­er en poi­son les délices annoncés. 

Perec écriv­it bien tout un roman en se pri­vant d’une voyelle indis­pens­able : “La dis­pari­tion” est en somme une sorte de tour de force poé­tique et tech­nique, celui de se pass­er du « e ». En voudrait-on à Corinne Hoex de se priv­er, elle, de la tête, du vis­age, du cerveau ? 

“Décol­la­tions” est en effet con­stru­it sur tout ce qui, dans la langue et ses expres­sions ferait « per­dre la tête ». Mais, loin de l’exercice un peu arbi­traire de l’oulipien Perec, le tra­vail poé­tique de Corinne Hoex, en exam­i­nant le lan­gage, donne égale­ment des fris­sons et pro­cure la légère élec­tro­cu­tion, ce choc déli­cieux et inquié­tant où se recon­nait le poème.

« Il faut être sur­pris pour devenir vrai », écrivait Michel de Certeau. Une vérité attend les lecteurs de “Décol­la­tions.” Certes, ce livre allè­gre va les diver­tir (et pourquoi pas ?), les éblouir (qui s’en plaindrait ?) et les entrain­er dans une vir­tu­osité dev­enue rare. Certes, le jeu sur la langue est ici même jubi­la­toire. Il n’en est pas vain pour autant. Car le grand thème qui ani­me l’œuvre entière de Corinne Hoex : celui de l’enfance mas­sacrée trou­ve en ce nou­veau livre bien plus qu’une occa­sion de ressasse­ment : une échap­pée cru­elle. Ce monde de langue et de couteaux vous fait tourn­er la tête, et vous laisse, en défini­tive étour­di, décervelé, mais plus sensible.

 

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