Nicole Dra­no-Stam­berg donne à lire un recueil atyp­ique ; le titre, «Déli­catesse et grav­ité» se trou­ve pré­cisé par le genre : «Bal­lades». Sans entr­er dans les détails des traités de ver­si­fi­ca­tion française, on se  con­tentera de la déf­i­ni­tion que donne le Petit Lit­tré : la bal­lade est une «pièce de vers coupée en stances égales et suiv­ie d’un envoi d’un nom­bre de vers ordi­naire­ment moin­dre. Toutes les stances et l’en­voi lui-même sont ter­minés par le même vers, qui sert de refrain.» Un bref coup d’oeil sur le recueil laisse appa­raître les grandes lib­ertés que prend Nicole Dra­no-Stam­berg avec le genre…

Étranges bal­lades que ces poèmes : le vers est libre, la rime est absente, les stro­phes sont de divers­es longueurs et le refrain se con­fond avec une expres­sion, une sen­tence qui, par­fois, se mod­i­fie d’une stro­phe à l’autre quand il n’est pas tout sim­ple­ment absent du poème. Mais ce refrain donne, sur le plan formel, le label bal­lade au poème… Le vers revêt dif­férents aspects, comme dans les fables de La Fontaine aux­quelles je ne peux m’empêcher de penser. Et par­fois la langue se fait par­lée, les syl­labes sont mangées, les tour­nures sont famil­ières : on assiste à un retour au passé, à l’en­fance. Comme si Nicole Dra­no-Stam­berg avait pour pro­jet d’ex­plor­er sa vie en remon­tant le plus loin  pos­si­ble en arrière, d’où cette appar­ente régres­sion qui n’est que fan­taisie lan­gag­ière. Car «Déli­catesse et grav­ité» con­stitue une sorte de jour­nal intime où les choses les plus graves sont dites avec légèreté, voire avec la fan­taisie la plus débridée (ain­si dans la Bal­lade d’Al­bert le ton­neli­er où les échos de la guerre se mêlent à la vie des hum­bles avec ce refrain obsé­dant qui vaut leçon «nous sommes au monde pour aimer«). On a une langue qui sem­ble désar­tic­ulée, qui ne chante pas naturelle­ment. Mais à bien l’é­couter, on entend une musique sub­tile qui émerge du chaos de la phrase qui court d’un vers à l’autre : peut-être est-ce la bal­lade qui s’im­pose au-delà du non-respect lit­téral de la forme ? Sans doute n’est-il pas besoin de pass­er par la biogra­phie de l’au­teur pour com­pren­dre ces poèmes… Le lecteur atten­tif relèvera cer­taine­ment une foule d’indices qui font sens : la Bre­tagne, les voy­ages, la célèbre voiture des Rougerie (les con­nais­seurs de l’édi­teur apprécieront), Fron­tig­nan et sa région, un avion qui revient avec l’être aimé…

Et enfin il y a ce poème, Bal­lade sur le park­ing de Car­refour, qui explique à sa façon le titre du recueil, poème dans lequel s’im­briquent le quo­ti­di­en le plus banal et l’His­toire qui broie nos sem­blables : sans effu­sions inutiles, sans  grandil­o­quence se dit alors quelque chose qui ressem­ble à la solidarité.

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