Let­tre (inat­ten­due) aux jeunes poètes.

 

Nom­bre de propo­si­tions de poèmes qui nous sont faites éma­nent d’auteurs débu­tants qui man­i­fes­tent de solides apti­tudes intel­lectuelles et témoignent d’une cul­ture éten­due. Pour­tant il nous arrive assez sou­vent de refuser la pub­li­ca­tion de ces poèmes au pré­texte qu’ils sont trop abstraits ou cérébraux. Il me sem­ble que la poésie n’aime rien moins que les mots à forte exten­sion comme «sub­lime» ou «lib­erté». Et, foin des déli­cieux sou­venirs de col­lège qui pour­raient y être attachés, le poème d’Éluard 1er au Top50 de l’Éducation nationale est loin d’être le meilleur qu’il ait écrit.

Voici un livre qui, pour incon­grue que sa chronique puisse paraître dans les colonnes de Recours, n’en devien­dra peut-être pas moins un excel­lent anti­dote à ce tra­vers qui fait écrire de médiocres vers à des per­son­nes cul­tivées et intelligentes.

Ce n’est pas un remake de Rilke, il ne s’occupe pas de lit­téra­ture. Mais il se lit aus­si agréable­ment qu’un recueil de nou­velles. Certes sans la pro­fondeur dra­ma­tique de celles de Tchekhov : se voulant mod­este­ment un glos­saire pour mieux com­pren­dre les mots de la psychanalyse.

Mais c’est la manière d’aborder la langue et le lex­ique qui fait, pour des non clin­i­ciens et ignares en la matière (dont je fais par­tie), la haute valeur « générale » de cet ouvrage.

Chaque déf­i­ni­tion est un cas, lesquels donne lieu à un réc­it qui laisse apercevoir à chaque fois un des­tin par­ti­c­uli­er. Il s’agit de ter­mes comme le change­ment de lieu ; Le baquet ; la chimère ; le dis­cours intérieur. Chaque expres­sion, à tra­vers le réc­it et les com­men­taires qui vien­nent s’y gref­fer, va affron­ter peu à peu les malen­ten­dus (par­fois avec un autre terme faisant l’objet d’un chapitre), va démas­quer les fauss­es évi­dences qui pour­raient don­ner à notre enten­de­ment l’illusion de la toute puissance.

Mais pour quoi ? — ¿Por que ? comme l’aurait demandé Valente. Pour mieux dire la réal­ité, pour aller au plus près d’elle, pour sen­tir, empirique­ment, dans une posi­tion insta­ble très humaine, ce qu’est le mot qu’il faut (ô déli­cieux dou­ble sens de ce verbe « fal­loir » !), le mot juste.

Une bonne école pra­tique de l’écoute et du dire.

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