Par la douceur et la sécher­esse de la « taille » (coupure des lignes, abrupt des élé­ments syn­tax­iques et lex­i­caux)  Chris­tiane Tri­coit crée dans le lan­gage  divers types de césures et de dis­jonc­tions qui à la fois lient et délient le monde et touchent à sa déhis­cence. Dans « Desert du Bar­bare », elle  mul­ti­plie des aveux mais sous la plus par­faite dis­cré­tion  et donc très loin de toute effu­sion narcissique.

Sur­gis­sent dans l’évocation de son passé africain la chute infinie du corps, sa remon­tée et – par­fois — sa rechute. Pris dans les lignes et les lig­a­ments sur­git un pays antérieur à la con­science : celui de l’émotion, de la pul­sion. Il prend la forme ici d’un canyon cat­a­clysmique dans lequel l’innocence est bafouée.

Chris­tiane Tri­coit n’est pas de celles qui geignent. De frag­ments en frag­ments, ce qu’elle laisse échap­per de sa vie est de l’ordre à la fois d’un ves­tige que soulig­nent les ver­tiges noirs et lumineux de Claire Nicole. Ses encres rap­prochent des lisières brouil­lées de la pen­sée, bref à la fron­tière où il est urgent de voir et de par­ler puisque tout devient incer­tain et non étalonné.

Résumons : dans ce livre la parole exigeante reste — suprême élé­gance —  en retrait, en attente. La gravure de Claire Nicole aus­si puisqu’elle naît d’un vide de matière. Le lecteur s’abandonne aux mots et aux images pudiques afin de touch­er le voile trou­blant d’un laiss­er être au monde là où la tristesse insé­para­ble de la vie.

Une fois encore se retrou­ve en lisant Chris­tiane Tri­coit  une force pour se bat­tre face à la chi­en­ner­ie de la vie et à la dureté des jours. On glisse dans l’enfer du Bar­bare en voulant croire à une féerie de l’existence. Bien sûr c’est une folie. Une folie du sage. Mais une folie tout de même.

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