« Etre là où mon cœur bat – même arrivée en retard.
Trêve de la pluie :
Que je n’arrive trop tard.
(…)
- Pourquoi êtes-vous en retard ?
- A cause de la poésie. »

« Le secret du bon­heur est de réduire l’échelle des choses, de les lim­iter » selon Lawrence Dur­rell. La joie ou le bon­heur – on s’adonne à la dis­tinc­tion trag­ique – fonde  cha­cun de ces Exils de mon exil de San­da Voï­ca ; joie ou bon­heur auquel on accède par la con­tem­pla­tion de « l’inframince de l’inframince du désir ». San­da Voï­ca aime à « tro­quer la poésie » dans « une attente sans attente ». Ce troc, qu’on peut réalis­er « pour » ou « con­tre » une chose, s’effectue par une lim­i­ta­tion pre­mière, celle du lan­gage. Pot­latch exis­ten­tiel. En étant « furtive, de plus en plus furtive », San­da Voï­ca dit le Tout, som­bre dans le Grand Par­ler, qual­i­fi­catif que Pierre Clas­tres attribuait à la créa­tion ver­bale — au lan­gage poé­tique — qui nomme êtres et choses en ador­nant leur dimen­sion masquée.

Le bom­bille­ment de ces Exils est bien­faisant ; c’est par la présence, ce « Je suis » man­i­feste, qu’une lutte s’engage con­tre la con­stric­tion. Con­quête dif­fi­cile : cette femme, ici, est « La Rose inerme » dont on ne devine pas la men­ace : « Dans la fleur même/Une grande épine./Je me retire, je vous salue,/ Et je main­tiens mon cap.//Un dard en fleur./ », mais pos­sède égale­ment, au plus près d’elle-même, des rotules chari­teuses : « Mes genoux sourient/Je leur dis bonjour./Mes idées chancèlent/Je leur dis au revoir./».

Entre dard­e­ment et sourire dans le con­tre­bas, c’est le Grand Par­ler qui per­met de se retrou­ver, sauf. La ques­tion mise en exer­gue à ces Exils de mon exil : « Mais peut-être par l’art on peut se sauver du brouil­lard ? » est reprise par l’affirmative dans le dernier poème, Peut-être :

 

« Mais peut-être par jeu on peut se sauver de l’enjeu.
Mais peut être par l’art on peut se sauver du brouillard.

Et notre regard dans l’éloignement. »

 

Si le « regard éloigné » con­sti­tu­ait pour Claude Levi- Strauss « l’essence et l’originalité de la démarche eth­nologique », on ne dépréciera pas cette intel­lec­tion, affir­mant à présent que, « le regard dans l’éloignement » de San­da Voï­ca, fait le poète fau­con­nier qui pousse son réclame au réel afin de revenir au leurre.

Gloire:

« Je suis celle qui jouit à la pensée
que je peux jouir dans ma chair.
A la traîne ? Bon­heur quand-même. »

 

Guil­laume Decourt

 

***

 

Ce nou­veau recueil de San­da Voï­ca fig­ure ce que doit être une poésie au marteau. Dès le pre­mier poème : Etre là où mon cœur bat on com­prend que chaque mou­ve­ment con­duit inex­orable­ment à l’exil. Au départ, l’appel est dou­ble, celui du dehors con­voque les ter­rass­es, les bal­cons et le roman famil­ial… celui du poème retarde et dif­fère le ren­dez-vous improb­a­ble avec le monde. Sous une forme con­cise ou ample, le poème traque le désir et le désir déporte sans cesse. A l’exil orig­inel s’ajoute l’exil du désir jamais sat­is­fait ou en attente (du corps, du poème et de son adresse). L’écriture de San­da Voï­ca est une pro­jec­tion (un être-jeté). Le poète est hors de soi et ramené à lui-même, dans un inces­sant assou­visse­ment et inas­sou­visse­ment. Tout se dérobe, en effet, et ce n’est que de biais que l’on parvient à voir et à saisir un réel à peine entre­croisé et qui échappe à toute signature.

(…) A ma gauche un ruis­seau s’éloigne non­cha­la­m­ment / Coule avec ennui. / Je ris et l’air se glace. / Je marche et l’herbe jau­nit. / A qui le ciel ? / A qui la terre ? / J’ignore la courbe de mon dos – finalement.

L’ignorance est un exil qui atteint nos pro­pres sen­sa­tions. San­da Voï­ca con­naît l’âpre mou­ve­ment de vivre et sa parole poé­tique fonc­tionne par pression/oppression dans une com­plex­ité (le chant se brise à chaque reprise du vers) stim­u­lante et rude. Son poème prend en compte l’hétérogénéité des sit­u­a­tions dans lesquelles nos vies inhu­maines se débat­tent. Jouant sur les para­dox­es, il s’affranchit des représen­ta­tions atten­dues, des enchaîne­ments automa­tiques. Tout est à la fois bat­te­ment, exil et désir. Les ten­sions sont extrêmes et aus­si les rup­tures, les écarts, les sec­ouss­es, les bégaiements et les intervalles.

Et surtout, je reste en guerre permanente (…)

On aimerait alors pro­longer notre regard sur ces poèmes rudes et merveilleux.

 

Pas­cal Boulanger

image_pdfimage_print