1.      

 

La mère
depuis toujours
la bouche rouge pour rire
et plus que les yeux pour pleurer
le ven­tre ouvert dans le lit
et la peau au soleil
renverse
les cerisiers
les herbes hautes jusqu’aux genoux
les immeubles au bord du fleuve vert

La  nuit ni le matin ne vont
plus
de la terre à la terre
d’une coulée inversée
des pier­res vers le ciel
sur­git la mer

Devant la fenêtre
« Ce soir quand tu ren­tr­eras,  je me serai jetée »
et encore
« Si tu le lui demandais, pour toi, il reviendrait. »

L’en­fant grat­te avec ses ongles tout autour, enterre dans le sable les petites cara­paces dures aux pattes arrachées. Reste accroché aux basques si soudain elle souri­ait. Un jour doit le croire pour le voir :

Chair retirée
cuiss­es lisses
jeune femme
la mère danse
noue des cordelettes
à leurs poignets
court
sur la plage

Au retour
à marée basse
filent
les pattes des oiseaux noirs et gris

Dans le seau
les coquil­lages vides
écrasés sous les qua­tre pieds de la table
jonchent le sol

Peau morte sous les talons
elle
ne quitte plus le lit
retrou­ve la berceuse
« Quand j’é­tais petite fille
les mou­tons  je les gardais… »
sur le bout des doigts
de la langue
les images
éparpillées :

Elle a cinq ans. Des bras forts la soulèvent.  Ses mains impa­tientes, le sable col­lé sur les jambes bronzées dis­ent l’en­chante­ment d’être hissée là-haut sur le bal­lon.  Le soir, elle et ses sœurs riront de leurs fess­es nues, sur­pris­es comme lorsque la pointe du couteau soulève la peau de la pêche et décou­vre la chair blanche. Elle est radieuse. Le bon­heur alors est tou­jours dans le geste suivant.

La corne­muse large comme la main
cloue dans la bouche la chanson

Elle
écarte les genoux
bateau sur l’eau
la riv­ière la rivière
s’éloignent les amers

Dans le fil de la toile le sang,  araignée pattes col­lées, le sang s’é­coule jusqu’où comme ça sans s’ar­rêter.  A L’hôpi­tal pas de croix sur le front, pas de parole pour l’en­fant sans demi tour assis dans le fau­teuil «Vous serez respon­s­able de la mort de votre mère ». Seule­ment, que le sang tienne seule­ment encore un peu dedans.

La bouche
ouverte grande
ne renonce pas
happe l’air
crie
ne veux pas y retourner

Six lits séparés par des petits box, et sur cha­cun une poupée posée bien droite, robe en corolle. Un jour elle a sept ans elle s’échappe, par­court seule com­bi­en de kilo­mètres on ne le saura plus ça se per­dra dans l’his­toire tant de fois racon­tée… cette enfant tur­bu­lente. Elle a quar­ante-sept ans dans les draps lis­eré rouge de l’hôpital. On la ramène en pen­sion à Pommier.

Le pont cède sous le poids
les bras repoussent
l’autre
vivant

Elle déchire
chaque respiration
siffle
d’un trait
le dernier
bol d’air

Ils dis­ent «  la toi­lette de la morte ». Sidéré devant la pen­sée, avant l’im­age, avant le geste, laver douce­ment avec un gant, le sexe. L’en­fant  reste der­rière la porte.

Comme au pre­mier jour
celui-là mort
l’autre vivant
le vis­age de l’un défaisant
le vis­age de l’autre
celui qui
n’a pas rem­pli le monde
de joie

Sur l’œil vert enlevé
repose le linceul

L’en­fant coupe ses cheveux. Oreilles cachées, petite queue pro­tégée dans le creux de la nuque, plan­tée devant l’ar­moire à glace décou­vre ses épaules, sa poitrine, son ven­tre. Portera  un pull  trop grand sur tout cet encombrement.

 

 

2.      

 

La mère, ils font une croix dessus, prient qu’on n’en par­le plus, En ont bien des enfants du même âge ne voient pas le rap­port. Se dis­ent : Elle est raisonnable, elle saura se débrouiller. Têtue, l’en­fant main­tenant devant la glace, la jeune fille aux cheveux courts, ne demande rien.

Dans la forêt des arbres sans bras
elle
enroule
les ban­des de tis­sus déchirés
les prénoms tissées
de toutes celles
qui ont lâché
la main
de la mère qui est l’enfant
Jeanne
Marcelle
de l’en­fant qui est la mère
porte
au-dessus du vide
sa
maman momie :
Denise

Marie-Claire Mireille
les trois sœurs
Prénoms soulevés jambes nues

Auprès d’elles
Fernande
un coin de tablier
cor­don der­rière qui se défait
men­ton tenu pour dire oui
gag­n­er sa vie
prend le temps
entre les chemis­es et les robes pliées
de jouer
consoler

Fer­nande
prénom
lancé tant de fois passé de main en main
l’aînée l’attrape dit encore
encore

La balle passe par dessus le mur
disparaît

Les trois sœurs endormies main glis­sée entre la taie et l’oreiller
toute leur vie

cherchent
le cor­don qui s’est défait

 

 

3.  

    

Dans le bus
la jeune fille au cheveux courts
pleure
ser­rée poing accroché là-haut
c’est rem­pli de mères un bus
quand
il pleut

Un homme coquille autour
hésite pas de côté tout près
prend place

où elle range mou­choirs en papi­er roulés en boule
apporte des fraises
des poules en chocolat
ils se tirent les vers du nez
dans
les mêmes draps

Sur les trottoirs
pour tenir debout
être sûre
elle
compte
pied sur la ligne
tous les dix pas
à la ter­rasse du café place Carnot se disent
ils auraient des enfants qui
se moqueraient
quand elle
trébucherait

Lâchée à temps
pour ne pas être emportée sur terre
elle
prend son tour
veut être la géante
on dirait

Con­stru­ire la chair
dessous
cer­cler le ventre
monter
l’échafaudage
bour­rer le crin
dans les recoins

Des poupées
l’une dans l’autre rem­plies de terre
être
celle qui tien­dra le nid

 

 

 

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