Notre aliment
C’est la colère sous le plus cru du ciel
Son alliance avec la lumière lais­sée à l’eau trou­ble des flaques
Son vœu d’arbres éteints de jardins dépouillés
Il en vient à chaque mon­tée du sang
Avec la rage des rivières
L’attente

 

 

***

 

Bal­bu­tiant qu’annonce
Un trem­ble­ment des feuilles les plus fines
Vert gris vert encore immo­bile soudain
Comme un lièvre ces­sant de boire humant
Et jouant du cuiv­re de l’air
Le vent fête le soleil naissant

 

 

***

Avec la part belle du rêve, cette soif noc­turne que la rosée étanche ce n’est pas l’écorce des bouleaux qui l’éclaire, mais ce que l’obscur emprunte à l’été, un amas de feuilles mille ans exposées à la lumière. C’est dormir où pleurent des riv­ières, par­mi les cheveux délacés du vent et les pier­res con­cassées qui chantent.

 

 

***

Vivante fontaine
Ton éche­veau de voix ta durable clarté
Au vent d’hier lave l’eau
Tourne sur la pierre un refrain de bulles vierges
De soif       de lenteur dans l’air ébloui
D’oubli de boire

 

 

***

 

Avant d’éteindre les pla­tanes où le vent bouge
La nuit s’enfonce dans l’œil des chevaux
L’effroi mène les enfants de porte en porte
Délie leur langue sitôt passé le seuil
Elle choisit ses fruits avant qu’ils ne tombent
Ceux qui vien­nent avant terme l’attendent

 

 

***

Qu’une eau menue nourrisse
À l’heure où penche la moisson
L’écorce là-haut la neige vive
Le poignard tiré des blés
Nous allons     − diva­gante aimée oublie ton labeur !
L’obscur qui s’accroît délie l’herbe mûre

 

 

***

 

La mer je l’entends ton­ner après la dune
Ses éclats de sel sous le soleil à pic
Sa voix de cuiv­re cou­vre mon souffle
Mes jambes faseyent la terre s’esquive je ne sais
Quel alcool maraude à mes pieds
Me garde de pass­er les salines
Le sable où je marche pèse mes tempes
Fêtent quel feu quel rire
Quelle foi­son de graines jetées au vent ?

 

***

 

Elle, se reti­rant laisse au sable le sel piégé par le soleil, en cette fab­rique du dia­ble qu’enferme une dune − lui brûlant, oubliant sucre éclats échos de fêtes étend son empire dans le silence, ciel qu’aucune pluie ne rav­i­taille, décré­tant la soif cet assèche­ment qui laisse éprou­vé comme limaille l’œil et la gorge à vif.

 

 

***

J’attelle ma faim à ton délice
À son parterre de fleurs écloses
Nos mains relaient notre patience
Le ciel nous con­gédie sur le drap incendié
Un feu dans la forge éclaire et croît

 

***

 

Dans la vacance du siphon
L’eau de vais­selle fait un bruit d’orage
Un ton­nerre sans men­ace rôde puis s’éloigne
J’entends la pluie zélée
Les bor­bo­rygmes du déluge
Les mar­ronniers dégout­tent les caniveaux s’emplissent
Cha­cun aux eaux en émoi prête un instant de silence
L’excès du ciel nous révèle notre soif

 

 

***

La face penchée des fleurs a cessé d’embraser notre table. L’hiver venu par la berge des fleuves apporte des relents d’avant-monde, par­le d’un ciel dont on ne s’éloignait que pour dormir. Dans la main nue qui a repoussé la friche, le grain attend. Semer n’est que le ver­sant moins pur du désor­dre. La plaine dans la clarté sans voix pal­pite − elle som­br­era dans un autre silence, celui qui précède puis accom­pa­gne la res­pi­ra­tion de la nuit. Nous sommes sans ressources dans le jour qui s’agenouille : nus, sa cadence est la nôtre où l’air nous convie.

 

 

***

 

Où cesse la neige, fran­chissant la ligne éblouie on perd pied dans une eau bruyante dont le froid irri­g­ant la peau donne vie soudain aux hêtres au-dessus, au mou­ve­ment du vent dans leurs branch­es. Déserts ou habités l’aval ni l’amont n’importent − le ciel est un drap glacial où aucun dormeur ne s’invite.
 

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