erškė­tuogės kopose / églantiers dans les dunes

 

 

traduit par Man­tas Jonaitis
 
 
 
 

p.14

 

 

le cimetière des Bernardins

 

 

 

Le por­tail du cimetière ne grince pas.

Mais qu’y peut le fram­boisi­er sauvage,

entrelacé dans les gonds ?

Pho­togra­phie d’un dou­ble néant.

Sur une tombe aban­don­née, affaissée,

repose un papil­lon jaune et sec.

La pluie d’avril bat le toit.

Un scin­tille­ment du soleil

dort au creux d’une chapelle.

Les capu­chons des Bernardins.

La neige, la pluie, le vent.

Je marche le long de la Vil­nelė en me rap­pelant mon frère.

Que dirais-tu de la pre­mière neige ?

Sur une bosse blanche

som­nole un vagabond.

Le mur est poreux, froid.

Dans le colum­bar­i­um l’heure d’été n’existe pas,

même en été.

Herbes noir­cies sur une tombe.

Deux araignées essayent de se tri­cot­er une vie commune

A la lisière du cimetière des Bernardins.

 

 

 

 

p.21

 

 

 

Ukmergė

 

 

 

Du linge étendu.

Les étoiles d’août se faufilent

entre les chemis­es enfantines.

Un oreiller au sol.

J’ai sure­ment rêvé encore des gro­seil­liers chargés de fruits

dans le jardin à Ukmergė.

Une poire dans ta main

qui ne sait rien de l’étang

dont l’eau l’a arrosée.

La bal­ançoire de mon enfance dans le jardin,

les bli­n­is aux pommes, les siestes :

dans quelle pièce repose tout cela ?

J’ouvre la porte.

Nuit noire dans le jardin.

La sauterelle est restée avec l’enfant, en été.

Une bible ouverte.

La pat­te du chat caresse le gilet

de Mémé Genutė.

Le pro­jecteur de la lune

pour­suit une souris égarée dans le potager.

Octo­bre déjà.

Noël est déjà proche,

et moi j’en suis encore

à l’œuf de Pâques de mon enfance.

Les affaires de Papy ont des noms.

Fal­lait-il

les con­naître tous ?

A peine éveil­lé, je par­cours encore

le labyrinthe de la nuit

en com­pag­nie d’un renard vagabond.

 

 

 

 

p.28

 

 

 

à pro­pos des fleurs

 

 

 

Je pense sans cesse aux freesias,

qui fleuriront dans si longtemps.

Les trot­toirs de jan­vi­er sont encore enneigés.

Une jeune fille nue s’épanouit à côté de la fenêtre ;

les yeux fer­més j’ose à peine bouger,

de peur que le rêve ne se termine.

 

 

 

 

P.23

 

 

 

sur la neige

 

 

 

La pre­mière neige, hiéro­glyphes de pigeons…

C’est peut-être une let­tre pour celle

dont le cœur blanche­ment bat, même en hiver.

Telle­ment dif­férente des lys !

Douce pour­tant, quand elle te touche,

encore blanche et fraîche.

Une telle joie quand il neige !

De minus­cules papil­lons blancs

fêtent leur anniversaire.

Le plus beau quand il neige ?

Les feuilles des frais­es des bois

qui cachent de petits fruits timides.

A la radio – un conte.

En feignant de ne rien entendre,

la neige tombe der­rière la fenêtre.

Dans la cabane au fond du jardin,

sous la neige, trois chats discutent

de l’hiver qui arrive.

 

 

 

 

p.34

 

 

 

ce n’est qu’un enfant, qu’un enfant

 

 

 

1.

 

s’asseoir dans le lit, se bal­ancer en suivant

l’aiguille de la pen­d­ule, dans le demi-jour du jardin d’enfant,

tant que la lune n’est pas là, tant que nounou ombre n’est pas là

 

 

2.

une bobine qui grésille, 16 millimètres,

ama­teur, mais d’un autre côté ce qui est à l’écran

n’a pas l’air ama­teur, même si c’est un peu vieux

 

 

3.

on ne voit rien ? pourquoi ?

réglons un peu — qui par­le ? sourit ? fait un signe ?

ça cra­chote, ça grésille, ça bruisse

 

 

4.

il neige, un enfant et sa luge, la montagne,

un bon­net en four­rure, les lacets défaits,

les branch­es enneigées : la tristesse, fugace, est rare

 

 

5.

ce n’est pas un doc­u­men­taire, ce n’est qu’un enfant, j’ai dit,

un enfant et sa luge sur la mon­tagne, qui tient dans sa main

le dernier ray­on de soleil, le dernier frag­ment d’enfance

 

 

6.

épisode hiver­nal : les branch­es s’approchent, s’éloignent, dou­blent des ombres,

mais qui s’endort avec ses bottes ?

je serai sage, promis nounou, la prochaine fois je serai sage

 

 

7.

qui ne mange pas sa bouil­lie, qui n’obéit pas ? – se laver les mains

avant le repas, après le repas, avant la nos­tal­gie et après elle,

après le pre­mier con­tact du vis­age con­tre le car­reau enneigé

 

 

8.

et cette lune au-dessus des rails ?

elle veille sur moi, ou sur eux ?

- les ortho­dox­es morts avant le couch­er du soleil

 

 

9.

lève-toi plus tôt, lève-toi plus tôt –

je voudrais voir comme le soleil

touche la peau des poires qui mûrissent

 

 

10.

des aigu­illes de pluie… dans quel jardin d’enfant ?

inter­rompent quel jeu ?

les pre­mières gouttes sur la nuque – quelles sensations ?

 

 

11.

je veux touch­er le bleu du mur – écail­lé, creusé,

avec ses clo­ques blanch­es et moches –

sinon je ne pour­rai pas m’endormir

 

 

12.

ce mur, der­rière lequel il y a un autre monde –

d’autres jou­ets, d’autres petites voitures, d’autres bal­ançoires – tout est différent,

il n’y a que papa et maman qui sont les mêmes

 

 

13.

et si maman ne vient pas me chercher,

et s’il ne reste que la lune

et nounou ombre ?

 

 

14.

les filles qui rigolent –

quand j’aurai dix ans,

je ne par­lerai plus à aucune d’entre elles

 

 

15.

qui a cassé la poupée ?

je voulais seule­ment essay­er de voir

ce qu’elle pense à l’intérieur

 

 

16.

un film… quelle dif­férence entre la vraie pluie

et celle dessinée

sur la feuille blanche accrochée là ?

 

 

17.

quand j’ai envie de pleurer

est-ce qu’il faut vraiment

le dire à nounou ?

 

 

18.

la bobine de film…

comme si elle trans­met­tait quelque chose,

qui tombe du ciel encore et encore

 

 

19.

et ce rêve –

je reste nu et seul

comme la lune désha­bil­lée par nounou

 

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