La Stat­ue est là, volée à l’œil d’un sculp­teur fou.
Vien­dra l’instant de l’exhumer, de l’offrir au grand jour.

Françoise Lison-Leroy

 

Françoise Lison-Leroy donne un long poème con­stru­it le long de trois branch­es reliées à ce même tronc ouvrant les feuil­lets du livre : « Elle sait que le tronc d’arbre recèle une œuvre clan­des­tine ». Une œuvre ou un œuvre, sans nul doute, tracée de Elle sait aux Héri­tières, en pas­sant par L’insulaire. Un poème sur « elle » et en même temps pronon­cé par « elle », femme que l’on est et femme que l’on regarde simul­tané­ment. Mais est-ce con­crète­ment une per­son­ne ? Rien de cer­tain. « Elle » s’apparente plutôt et sou­vent à une sorte de Sagesse détachée, d’autres fois à un regard porté sur ce qui est. Et surtout sur la sim­plic­ité de ce qui est :

 

L’œuf est un par­fait puits de sci­ences. En lui con­ver­gent plein et vide, lumière et ombre, corps et eau, tout et rien. En lui se taisent les possibles.
 

Elle sait, elle, la lente énigme vouée au néant, la ronde échap­pée des vis­cères. Ain­si en est-il jusqu’à tou­jours, sans foi ni loi, ni appel du grand large.
 

Com­ment l’avouera-t-elle à ceux qui la suiv­ent, la prolongent ?
 

 

Le regard sim­ple et empli de sagesse d’une per­son­ne non nom­mée, regard posé sur le monde par qui a vécu en ce monde et a été vécue par ce même monde. Nous sommes autant la vie du monde que le monde est vivant en nous. Il y a donc ce « savoir » qui sig­ni­fie ici plutôt « con­nais­sance » que pré­ten­tion à une cer­ti­tude, c’est le savoir ancien, le « con­nais ». Ce mot en lequel et par lequel cha­cun peut renaître :

 

Elle sait qu’elle ne sera jamais mûre, que cent années ne suff­isent pas à par­faire le tableau. Elle va vers ce qu’elle n’a pu résoudre : l’équation sou­veraine, l’exode au long cours, les futaies. Elle énumère tout ce qui manque à son bagage.
 

Vient le temps d’acquiescer. Et de sign­er d’un œil le blanc cahi­er des charges.

 

Et le regard posé ne va pas sans réal­isme – quant à l’homme : « On vit pour que per­dure, servile, l’infâme race humaine ».
Alors, quit­ter bien­tôt cette part de vie, celle que nous vivons dans le présent d’une vie, c’est pré­par­er son « éva­sion », ce qui pose la ques­tion du corps, ques­tion sans cesse sous-jacente dans ces pages. Le corps en lequel nous sommes et vivons, enfer­més. Peut-être. Enfer­més, sans doute.
L’attente ne se vit sans un agir :

 

Elle tient à mille mains sa promesse. Celle de garder le cap à l’intérieur d’une mue qui se déglingue, d’une fuite des temps et des songes. Et qu’elle emmèn­era le plus loin pos­si­ble, sur la carte stel­laire. Le tableau n’est pas clos. Avant de tra­vers­er les ombres, pour gag­n­er un autre soleil, il s’agit de sign­er l’ouvrage.

 

Cela ne va pas non plus sans pen­sée de ce qu’est l’être en dedans de la matière / corps :

 

Non, pas de temps ni d’heures. Un canal tiède, dont la géométrie échappe à toute emprise. Et dont la flu­id­ité s’accorde au bal­let utérin. On ne peut cap­tur­er l’art, le mou­ve­ment, la présence. Elle, l’invisible éten­due. Pour la sur­pren­dre, il faudrait que quelqu’un l’invite à sa pro­pre mort. Mais nul ne se sait habité.

 

Oui, à quel moment la géométrie qui vit en nous se met-elle à œuvr­er et à devenir poti­er ? Et pourquoi ce moment pré­cis se met-il à vivre en nous sans que nous le sachions véri­ta­ble­ment ? Ce qui est cap­tif peut se met­tre à vivre, elle le sait :

 

Nous venons de bien loin, de cette lignée promise au féminin pluriel. Prim­i­tives, nous avons puisé l’eau d’une terre noire, mod­elée par toutes les marées. La pierre nous fut don­née en mil­liers de galets, et le feu ne con­nais­sait que nous. Seul le vent était objet de partage.

 

Françoise Lison-Leroy plonge alors, en cette dernière par­tie de l’opus, dans l’authentique pro­fondeur du réel. On ne revient pas indemne de tels voy­ages quand « il fait gris souris sur nos terres ». 

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