En trois lignes, bien sen­ties, bien frap­pées, témoign­er de l’horreur de la guerre. Voici, réu­nis dans un livre, des haïkus écrits dans les tranchées de 14–18. Com­ment ne pas être touché au cœur ? Ce genre lit­téraire n’était-il pas finale­ment adap­té à la sit­u­a­tion, par son côté lap­idaire aux allures d’instantané pho­tographique, sai­sis­sant l’instant dans sa banal­ité ou sa cru­auté, sous des cieux ici bien chargés ?

    Une antholo­gie de ces textes écrits sous la mitraille est aujourd’hui pro­posée par Dominique Chipot, un des grands spé­cial­istes français de ce genre lit­téraire. Quant à  l’éditeur Bruno Doucey, il a eu aus­si la bonne idée de faire pré­fac­er l’ouvrage par Jean Rouaud, l’auteur des Champs d’honneur, un livre dans lequel celui-ci évoque notam­ment la mort de deux oncles de son père à la Grande guerre.

      On prend véri­ta­ble­ment les haïkus de cette antholo­gie « en pleine fig­ure » (titre du livre), allu­sion au haïku de l’enseignant human­iste René Maublanc (né à Nantes en 1891) qui, réfor­mé, ne par­tic­i­pa pas à la guerre, mais fut forte­ment mar­qué par la dis­pari­tion de nom­bre de ses cama­rades sur les champs de bataille. « En pleine figure/la balle mortelle/on a dit : au cœur —  à sa mère », écriv­it Maublanc. Et aus­si ceci : « Mes amis sont morts/je m’en suis fait d’autres/pardon ».

     Ecrire des haïkus au début du 20e siè­cle ? Oui, car la décou­verte du haïku japon­ais, nous rap­pelle ce livre, ne date pas d’Hiroshima. Le genre – con­nu au départ sous le nom de haï-kaï – se pra­tique dans cer­tains cer­cles poé­tiques ini­tiés à la sen­si­bil­ité japon­aise. On assiste d’ailleurs au même phénomène dans les milieux d’artistes (le japon­isme) à la faveur de l’ouverture au monde de l’Empire nippon.

        Quand ils par­tiront à la guerre, cer­tains auteurs pren­dront donc le par­ti d’écrire des haïkus. Le plus célèbre d’entre eux est Julien Vocance. Né en 1878 – de son vrai nom Joseph Séguin – il avait rejoint le pre­mier groupe de « haïjin » français autour de Paul-Louis Cou­choud, qui fut l’importateur du haïku en France. « Dans un trou du sol, la nuit/en face d’une armée immense/deux hommes », écrit Julien Vocance dans « Cent visions de guerre » (1), allu­sion directe au recueil inti­t­ulé « Trente-six vues du mont Fuji » du graveur d’estampes japon­ais Hokusaï..

       Il y a aus­si, dans ces tranchées, l’Alsacien Mau­rice Betz (né en 1898), tra­duc­teur de Thomas Mann, Niet­zsche et Rilke, dont il était l’ami. Dans sa Petite suite guer­rière, on peut trou­ver cette vraie per­le. « Un trou d’obus/dans son eau/a gardé tout le ciel ».  Il y a aus­si, dans l’effroi, Georges Sab­iron, mort en mai 1918 au com­bat d’Arcy-Sainte-Restitue. L’homme avait lu Sages et poètes d’Asie de Paul Louis Cou­choud. On lui doit ce haïku : « L’obus en éclats/ fait jail­lir des bou­quets d’arbres/un cer­cle d’oiseaux ». Que dire de plus ?

 

(1)   « Cent visions de guerre »,  dans « Le livre des haï-kaï » pub­lié en 1983 aux édi­tions Les Com­pagnons du livre. « Ce sont les Japon­ais qui m’ont fait décou­vrir cet ouvrage, totale­ment passé inaperçu en France », expli­quait l’auteur brestois Alain Kervern (tra­duc­teur du Grand almanach poé­tique japon­ais) dans un arti­cle du 9 novem­bre 2003 qui fai­sait décou­vrir les haïkus de 14–18  aux lecteurs de dimanche Ouest-France. « Le recours à la forme con­cise du haïku, ajoutait Alain Kervern, a per­mis à Julien Vocance de nous faire revivre, en une série de flash­es, ce que fut l’enfer de cette guerre ».

 

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