Beau tra­vail, mod­erne, que celui des édi­tions La Passe du vent, situées à Lyon, tra­vail­lant en lien avec un beau lieu de poésie, l’Espace Pan­do­ra. Le physique du livre, sa moder­nité et la poésie de Frédérick Houdaer sont en phase, voilà ce qui frappe de prime abord. Une poésie très con­tem­po­raine dans des pages très con­tem­po­raines. Belle réus­site. Les mots et les poèmes sem­blent sim­ples, anodins, quo­ti­di­ens. Une apparence. On cherche des référents, d’abord on n’en trou­ve pas, puis le vis­age de Bukows­ki s’impose. Avec un zeste de regard dés­abusé de type Céline. Il se situe là, Houdaer. C’est loin de mon univers pro­pre et pour­tant cette poésie me par­le forte­ment, un signe cela, qu’une poésie dont vous êtes loin vous pénètre tout de même. En réal­ité, l’état de l’esprit qui se pro­file, qui se voile, der­rière les apparences anodines des sujets traités ici, avec un humour et un cynisme rares, dit beau­coup de nous, de l’état d’esprit de ce que nous sommes, urbains mas­sifs enfer­rés dans de drôles de préoc­cu­pa­tions d’un intérêt humain relatif. C’est cela le regard de Houdaer : des yeux éton­nés portés sur l’insipide van­ité du vide de nos exis­tences. Il y a un ton qui n’est pas français dans l’écriture du poète, quelque chose que l’on croise plus sou­vent aujourd’hui dans la poésie alle­mande ou d’Europe du Nord. Le poète recevra cela comme un com­pli­ment, lui qui en sa page 71 décou­vre qu’il n’est pas un poète français. Houdaer exprime en poésie les choses sim­ples de nos vies, la dif­fi­culté d’écrire aus­si dans nos quo­ti­di­ens faits d’immédiatetés insen­sées. Der­rière l’humour, ce recueil est grave et sérieux. Il s’intitule Engeances, ce n’est pas un mince choix quand on s’attache à par­ler de soi et de ses con­tem­po­rains. Le texte est entre­coupé d’un « mak­ing off », insis­tant sur la mise en scène poé­tique, l’importance de l’image visuelle, dont le numéro 2 indique le chemin du poète :

 

Mak­ing off (2)

 

l’étoffe des choses
me reste mystérieuse
je ne remar­que pas
dans un vieux film noir et blanc
que le pyja­ma porté par Jean Gabin
est en soie
c’est ma chérie qui me l’indique
je ne sais différencier
les bras­sières en laine
de celles en éponge
pour habiller bébé
et j’ai bien du mal à admettre
que l’un de mes amis porte perruque
que les quelques cheveux qui lui décorent les
épaules
soient synthétiques
je jure bien
ne pas le faire exprès
moi qui pro­je­tais d’écrire
une série de poèmes matéri­al­istes
il me faut révis­er mes ambi­tions à la baisse
y com­pris sur ce plan-là

 

Le poète joue avec le ciné­ma, avec le quo­ti­di­en, avec sa vision du monde, quelque chose d’un réac­tion­naire de gauche. Human­iste de sur­croît. La sit­u­a­tion n’est guère aisée mais elle donne ce ton original.

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