Paul de Roux, homme et poète dis­cret, poète archi­tecte de sa pro­pre dis­cré­tion. C’est pourquoi le pre­mier mot de ce livre, mot de Guy Gof­fette, pour ouvrir sa belle et proche pré­face est le mot « secret », mot d’une très grande justesse à pro­pos du poète. Le poète, et son ami. Le secret ou la dis­cré­tion, cela n’empêche pas Paul de Roux d’avoir été très act­if dans l’édition, de par son méti­er, mais aus­si son impli­ca­tion dans une revue, La Tra­verse, revue qu’il a fondée en 1969 avec des amis comme Hen­ri Thomas, Bernard Noël, Georges Per­ros, Pierre Leyris, Jean Que­val, et à laque­lle se sont joints des poètes et/ou écrivains comme André Dhô­tel, Roger Munier ou Pierre-Albert Jour­dan… Une belle bro­chette, à n’en pas douter !

La majeure par­tie de l’œuvre de Paul de Roux a été pub­liée à par­tir de 1980 – à par­tir du recueil Entrevoir, ce même recueil qui ouvre le vol­ume main­tenant acces­si­ble dans la col­lec­tion « poésie/Gallimard » – chez Gal­li­mard et au Temps qu’il fait (pour les car­nets). Un livre de poèmes, en 2000, à L’Atelier La Feu­graie, aus­si. Des livres d’artistes, quelques tra­duc­tions, dont un superbe Hypéri­on chez La Dogana, tra­duc­tion dont je recom­mande ici chaude­ment la lec­ture. C’est par ce livre que je suis per­son­nelle­ment entré dans l’atelier de Paul de Roux.

Guy Gof­fette donne ce titre à sa pré­face : « une dou­ble présence ». Et c’est exacte­ment cela, ain­si que je vais ten­ter de le faire saisir ici, exacte­ment cela, la poésie de Paul de Roux, une dou­ble présence. Il con­vient de remerci­er le préfacier/poète qui aide à appréhen­der ladite présence. Sans doute du fait que, d’une cer­taine manière, les poésies de Paul de Roux et de Guy Gof­fette ne man­quent pas de vraie prox­im­ité. Dou­ble présence car la poésie de Paul de Roux n’est pas cette sim­ple poésie du « quo­ti­di­en » comme on l’écrit par­fois, et comme on l’écrit aus­si, et de façon tout aus­si sim­pliste au sujet de celle de Gof­fette. Il sem­ble que cer­tains cri­tiques lisent les mots des poètes et les « com­prenant » rationnelle­ment se gar­garisent que ces poètes soient « acces­si­bles », un peu comme un bocal dans un super­marché. Comme si la poésie par­lait à autre chose qu’au cœur, autrement dit à la part d’âme du monde qui vit en cha­cun de nous. Cette âme dont nous sommes simul­tané­ment une infime par­celle. On lit des choses de cette sorte ici et là sur le net… Non, ce n’est guère sérieux : la poésie, quand elle est authen­tique, est poésie du dévoile­ment. Tou­jours. Que les mots soient en apparence directe­ment appréhend­ables ou bien qu’ils aient l’air de sor­tir tout droit d’un traité d’ésotérisme (autrement dit, de sor­tir d’un ouvrage trai­tant du réel en sa pléni­tude). Que le poète évoque ce qui se passe sous ses yeux ne sig­ni­fie pas, et c’est heureux, que son intérêt porte sur le « quo­ti­di­en ». Il se porte plutôt sur le réel, et c’est loin d’être la même chose. D’ailleurs, le titre du pre­mier recueil de Paul de Roux dit cela : il s’agit d’entrevoir. Il y a peu que l’homme parvient à entrevoir/voir, au cœur du réel, peu et cepen­dant beau­coup dès qu’il accepte devoir œuvr­er, et tra­vailler à dévoil­er. Le poète est un com­pagnon du devoir tout autant que de l’aurore. C’est tout le tra­vail du poète, et c’est en cela que le poète n’est pas un écrivain, au sens mod­erne de ce mot. Car la poésie est un tra­vail. Non pas en ce qu’il s’agirait de sculpter des mots (elle est cela, bien sûr, comme tout acte « artis­tique ») ; plutôt en ce qu’elle œuvre en le poète même, à la con­struc­tion, burin et ciseaux en mains, du poète lui-même – et dans le même temps, simul­tané­ment, à cet édi­fice com­mun en con­struc­tion per­pétuelle, le Poème. C’est à cette échelle et sur le ver­sant de cette ampleur que se lit la poésie de Paul de Roux, et c’est ce que dit Gof­fette à ceux qui veu­lent bien l’écouter. Tout est chant et chem­ine­ment vers le chant de l’origine quand il y a cet état de fait : la poésie. Les poètes authen­tiques sont ceux qui ont com­pris intu­itive­ment, analogique­ment, que… les poètes n’existent pas. Qu’ils sont, en général et eux-mêmes, des creusets du Poème, de sim­ples out­ils de quelque chose qui les dépasse et qui vient de loin, très loin. Bien sûr, nom­bre de poètes ou pré­ten­dus tels s’insurgent dès qu’ils lisent de tels mots (la peur de ce qui dépasse est fort partagée en cette époque d’abrutissement expo­nen­tiel). C’est plus sim­ple que de s’interroger sur ce que sig­ni­fie le mot « poète » qu’ils s’attribuent par­fois un peu rapi­de­ment. Cela touche à l’ego… Cela même que la posi­tion du poète authen­tique – et de Paul de Roux quand il dit que « c’est la poésie qui vous tient par la main » – éradique, l’ego. Le poète authen­tique peut devenir dis­cret et même secret, oui, vous le savez bien Guy Gof­fette, quand il repousse au loin sa pré­ten­tion à être poète. Et toute pré­ten­tion à une quel­conque recon­nais­sance, petits prix médiocres à l’appui ; car le poète et sa poésie ne se jouent pas dans tout cela. L’enjeu est autre, ailleurs, plus ample ; il y va de l’exercice même de l’être humain, un état de l’être qu’il faut au poète rechercher en per­ma­nence, et ce depuis l’origine de ce chant qu’est la poésie. J’ai nom­mé le pre­mier matin du monde.

La poésie des pro­fondeurs se tient sur ce pic pré­cis, celui du pre­mier matin du monde. C’est pourquoi la poésie et le Poème échap­pent à tous les déluges. Ils sont la source per­pétuelle de toutes les renais­sances de la vie. On l’aura com­pris, jamais la mon­tagne ne cesse d’être magique.

C’est pourquoi aus­si la poésie et la lit­téra­ture sont choses dis­tinctes. C’est pourquoi encore la moder­nité tend à essay­er de mas­quer la poésie, au prof­it d’une prose sans fin que l’on appelle par­fois roman tan­dis qu’elle n’est que bavardage insipi­de, répéti­tif, insignifi­ant. On voit pass­er les romans comme les boulons sur les machines des Temps Mod­ernes, c’est à mourir de rire. Entrevoir, Le front con­tre la vit­re, La halte obscure, titres aux­quels il faudrait ajouter Les poèmes de l’aube – les pre­miers livres de Paul de Roux, cela dit beau­coup tout de même…

 

Entrevoir
Le front con­tre la vitre
Les poèmes de l’aube
La halte obscure

 

Cela fait presque un embry­on de poèmes qui forme le Dit du Poème vivant en Paul de Roux. On pense à Jean de La croix, à la source ortho­doxe aus­si, à laque­lle Paul de Roux s’est con­ver­ti dans le temps même où, âgé d’une quar­an­taine d’années, il com­mençait à éditer ses poèmes. Bien sûr, on peut con­tin­uer à croire aux hasards quand il n’est que syn­chronic­ités. Tout en ce poète et en cet homme est atten­tion à la matière du réel, et non au quo­ti­di­en de la matière. À la trame qui se tisse en dedans de la pléni­tude du réel. Chaque matin, Paul de Roux regarde le pre­mier matin du monde, et c’est pourquoi il est écrit en tant qu’athanor du Poème. Nous sommes ici au cœur de ce qu’est la poésie, la forme ini­ti­a­tique ouvrant le regard sur le Poème, ce qui s’anime au-delà du voile des apparences, cet autre mot pour dire « quo­ti­di­en ». Le poète regarde ce qui est au-devant de lui et, ce faisant, regarde ce qui est au-dedans de lui. Ce qui est au-devant est comme ce qui est au-dedans, et récipro­que­ment, pour édi­fi­er le mir­a­cle d’une seule chose, pour­rait-on oser écrire. C’est ici, pré­cisé­ment, que se situe la dou­ble présence du poète Paul de Roux, à la join­ture. Et ce mince fil est un regard.

Mais il est temps de chem­iner avec Paul de Roux, et deux poèmes dont l’un s’intitule « Recours », for­cé­ment.

Osera-t-on encore lire Paul de Roux autrement que comme un poète pèlerin ?

 

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