C’était en 2002, et pour la pre­mière fois des poèmes  d’Eva-Maria Berg parais­saient en langue française. Eva-Maria Berg est une poète alle­mande dont nous aimons forte­ment la poésie, ici, et que nous avons déjà eu le bon­heur de pub­li­er dans nos pages. On lira ain­si dix poèmes en alle­mand et français ici :
https://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/eva-maria-berg
Pour ma part, je suis allé vers elle après ma lec­ture de poèmes parus dans l’excellente revue de Jacques Ran­court, La Tra­duc­tière, poèmes dans le ton duquel, comme ici et comme dans toute la poésie de Berg, je retrou­ve un ton qui m’est cher (mais peut-être est-ce une sorte d’hallucination per­son­nelle), le ton physique du Berlin contemporain.
L’absence quo­ti­di­enne est un recueil con­stru­it autour des col­lages de Molinéris, à moins que ce ne soit le con­traire, et, dans cet ouvrage, poèmes et œuvres pic­turales se mari­ent comme rarement, les deux ne s’illustrant pas mutuelle­ment mais dia­loguant plutôt. Une réus­site. Par­fois les poèmes sont aus­si inté­grés dans les col­lages, ainsi :

l’un peint la guerre

en couleurs criardes
tombent les hommes
sur la toile celui qui les enterre
ne con­stru­it pas de cadre

Et les col­lages ont de même une tonal­ité berlinoise.
La poésie d’Eva-Maria Berg pose un regard incisif sur notre époque :

Mes enfants vont sur la lune. Ils savent que ce n’est
pas en rêve.
Le départ n’est pas dif­fi­cile. Seule­ment par
habi­tude nous nous faisons signe de la main,
comme avant, quand jour après jour ils s’en
allaient à l’école. (…)

 

Ou plus loin dans le même poème :

Avant, il y avait des devinettes pour faire pass­er le
temps. Main­tenant nous amas­sons l’inactivité
pour rem­plir les moments de solitude. (…)

Et encore :

Quand la télévision
s’arrêta
les nou­velles avaient
dépassé les limites
du sup­port­able et
les gens dans la pièce
on
ne les voy­ait plus

Douze pages sépar­ent les deux poèmes. Un monde. Celui de l’histoire proche de et des Alle­magne (s), en fil­igrane. Com­ment, en France, com­pren­dre ce que sig­ni­fie être alle­mand main­tenant ? Il y a eu le siè­cle passé, les mon­des meur­tris puis séparés. Loin­taine his­toire, vu de France, prég­nante quand on est né allemand.
Mais la poésie de Berg n’est pas seule­ment intime­ment liée aux mon­des où la poète est née, elle est aus­si, par incis­es, poli­tiques et forte­ment ant­i­cap­i­tal­iste. Une poésie cri­tique. Et dans les soubasse­ments de ce poli­tique se tient une inquié­tude : celle de voir l’humain se dis­soudre volon­taire­ment dans l’image. Dix ans après la paru­tion de ce livre, force est de recon­naître que les poèmes de Berg par­laient de ce qui nous est main­tenant tombé dessus. Un quo­ti­di­en où l’ennemi ne porte pas d’uniforme noir ou gris vert mais plutôt arbore un beau sourire et dit « vous repren­drez bien un big mac ? ».
Ce qui n’empêche pas Eva-Maria Berg de dire l’Espérance, celle qui est entre les mains de l’Enfant.

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