140-

Par le mur de l’hôpital, les pié­tons mon­tent au ciel comme des cerfs-volants que le vent entraîne.

Les feuilles les obser­vent, puis se retour­nent en espérant la venue de la pluie. En vraies filles d’Orphée, elles se méfient de l’imagination.

 

Les bras encom­brés de sacs, une femme se mur­mure des paroles qui la défont et l’amenuisent. A quand la pre­mière vic­toire morale ?

Depuis longtemps, elle n’entend plus la musique urbaine qui sou­tient son pas. Com­ment répan­dre sur elle la myrrhe et l’encens de la con­so­la­tion spirituelle ?

 

87-

Une femme enceinte passe au pied de la Shang­hai Finan­cial Tow­er. Elle cou­vre de son ombre l’ombre de cristal,

Ses nar­ines frémis­sent au touch­er du print­emps ; elle par­le en marchant ; sa res­pi­ra­tion trem­ble au pied de la paroi, la longe et se perd dans le flot de lumière.

 

La nature et la ville se ressem­blent si peu, ou comme l’infiniment grand et l’infiniment petit – que je n’ai jamais vu pour ma part.

Alors, le lori­ot reprend son chant. Il se pose sur la femme seule. Les grandes avenues de Shang­hai cou­vrent leurs immeubles de couleurs et nous, nous qui pas­sons, nous voulons croire à leur langue.

 

68-

Les voitures sont à l’arrêt. Les feuilles, hier encore absentes, ont repris leur longue discussion,

Les mêmes ici que sur les champs ou au pied des tombes. Une sirène passe dans la rue et les percute.

 

La femme prend peur. Ses mains s’agitent, son vis­age se trou­ble et se raisonne. « Bon d’accord, dit-elle. Pas­sons à table, la tombe peut attendre. »

Des hari­cots vert vif et de l’estragon. La source amoureuse se love à nou­veau en rigole au pied du jardin. Elle vient d’accueillir un mort.

 

 

Inédit, extrait de “Par-dessus l’é­paule de Blaise Pas­cal
Titre provisoire

 

 

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