Ces « frag­ments des deux baies » (celle de Mor­laix et celle de Lan­nion) ont de fortes allures de haïku. Le poète Daniel Kay ne pré­tend pas vrai­ment en écrire, mais on est bien dans l’esprit du genre : con­ci­sion (trois vers), instants sai­sis au vol, mots de sai­son… Et ce zest d’humour — qui en fait toute la finesse — dont l’auteur n’est d’ailleurs pas dépourvu dans la vie de tous les jours. « Les pages du carnet/Se rem­plis­sent seules/Après cinq Guinness ».

         Dans son road-movie léonar­do-tré­gorois (car­net en main et les œuvres de Cor­bière en poche), Daniel Kay se forge une forme de « géopoé­tique » chère à Ken­neth White (citoyen de Trébeur­den). Pour­tant, le mot de « car­togra­phie intérieure » lui con­viendrait mieux car les références lit­téraires ou artis­tiques ne man­quent pas. « A Roscoff sur les quais/J’ai croisé Fer­nan­do Pessoa/Sans doute une erreur ». (…) « La vague d’Alexander Harrison/vaut bien/Celle de Hokusai ».

     Ce ton décalé, nar­quois, un brin sar­cas­tique, fait sou­vent penser à cer­tains haïkus de Jack Ker­ouac. Le road-movie de Daniel Kay sur le sen­tier côti­er regorge ain­si de scènes cocass­es, de choses vues avec beau­coup de finesse. « Plateau de fruits de mer/Une bouteille de blanc/Une ban­quette rouge » (…) « Big­orneaux bulots crevettes/Un anglais/Pisse devant la mer (…) Deux Belges en bras de chemise/Attendent le ferry/Tintins un peu tristes ».

     A l’affût, Daniel Kay regarde ses sem­blables. Mine de rien, il nous dit ce que l’homme fait de sa vie. Sous la plume, les pêcheurs du dimanche devi­en­nent de « mod­estes orpailleurs » et des « aven­turi­ers de la lenteur ». Ou même des « sisy­ples heureux » quand on les retrou­ve, pêcheurs à pied, sur les estrans de grande marée.

         Le poète scrute les signes du temps. Se fait philosophe. Par bouf­fées (géniales) il élève le débat. « Appari­tion de la baie/Plus ancienne/Que le lan­gage » (…) « S’ensevelir dans la beauté/La baie l’ordonne/A chaque sec­onde ». Mais le cœur, sou­vent, est ser­ré. Daniel Kay n’arpente pas impuné­ment un ter­ri­toire d’enfance. « Caran­tec il y a si longtemps/La vieille Dauphine/Le sourire de mon père ». En quête du bleu – sa couleur dom­i­nante – il cherche à quit­ter ce froid « à vous glac­er les os ». Et, Sisyphe lui-même, il s’acharne à « Repren­dre le sentier/Finir le poème/Commencer le poème ».

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