Une trentaine de poèmes en prose com­posent La Beauté gifle comme un grain, le dernier recueil paru de François Laur. Out­re que c’est un bel objet, cousu, avec une mise en page de qual­ité, jamais gifle n’a autant caressé celui qui, pour la recevoir, la par­court comme l’amour se lève. Impos­si­ble en effet de s’imprégner autrement de cet auteur si dis­cret qu’il n’élève jamais la voix. Ajoutez à cela un exer­gue d’Annie Le Brun : « La puis­sance du désir est de sans cesse reli­er l’imaginaire et la réal­ité, en exal­tant l’une par l’autre. » Ce pour­rait être, en résumé, l’art poé­tique de François Laur. C’est dire la force d’attraction de ce recueil. Il est de ces livres « tis­sés de flammes du soleil, ceux qui se dansent, qui enivrent, qui font somptueuse­ment titu­ber ». Trou­vère de notre temps, dont rien n’est occulté, ni les rues qui ressas­sent la tristesse, ni les grèves, ni les migrants qui se noient, François Laur chante, par-dessus tout, l’amour. « Mon sang rit s’emporte feule, s’enivre de toi tis­serande en accueil. »

La femme aimée est ici célébrée. On a trop per­du la grâce de le faire. Elle est l’égale absolue, voire la suzeraine des trou­ba­dours, non per­chée à la fenêtre inac­ces­si­ble, au cœur du verg­er, de la mai­son, du lit nup­tial. Elle respire, odore par tout son corps, ordonne le jour et la nuit dans un naturel qui cham­boulerait bien des exis­tences si leurs tit­u­laires pou­vaient sub­odor­er que cela se peut. « Mal­heur à qui est sans désir », écrit à rai­son François Laur. Le bon­heur ? « Con­tre moi, sen­tir le lilas sur tes seins le velours de ton ven­tre le pli pro­fond où je te touche. Ne rien oubli­er. » L’étreinte, l’orgasme ? Les voici dans les deux seuls vers à pro­pre­ment par­ler de ce recueil « Tu me main­tiens sur la plus haute vague, / en m’insufflant un peu d’éternité. » Sa prose est infin­i­ment ryth­mée, et musi­cale à la fois, et surtout truf­fée, presque au sens pro­pre pour la nar­ine, de trou­vailles mul­ti­pliées. «Le cœur tam­bour, je bois ta soif surgie sur le bout de ta langue, à ton ven­tre le vin du rêve ; ta voix se tresse de galets qu’entre-heurte le flot, de con­tral­to et d’abandon poignant».

L’amour, écrit François Laur, écarte un peu les hor­reurs du monde. « La caresse de ta voix me rend le cœur plus léger […] Avec toi, tes ritour­nelles, oubliés – tout mer­veilleuse­ment ! – extorqueurs de désirs, trafi­quants de peur fab­ri­cants de tristesse furieux de dieu bombes humaines. » Il offre tout le con­traire de cette écri­t­ure décharnée, queue de comète de Tel Quel, qui fait les pâmoi­sons des aya­tol­lahs que l’émotion fait vom­ir, qu’ils récusent. Lui, nous emporte dans son souf­fle. « Nous nous savions mor­tels, mais je n’y croy­ais pas. Sous l’impact du crabe fouis­seur, j’ai appris ce que vivre l’instant veut dire : auprès de toi, avec et par toi ray­on­nante, con­tinû­ment repren­dre haleine dans l’affection et le bruit neufs. » Lire François Laur, c’est se pré­par­er « à manger des burlats cueil­lis sur le sourire » de l’aimée. C’est s’ouvrir comme un fruit pour le partage. C’est se pré­par­er à la déli­catesse : « La chaleur de ta voix a eu rai­son de mon manque d’oreille. L’aigue-marine de tes yeux a lam­iné ma cataracte. » Et encore : « Les mouil­lures à tes lèvres m’ont appris les sen­teurs d’exister ; tu m’as ouvert ton lit, guidé en toi pour me faire franchir l’horizon. »

François Laur, né en 1943, vit dans le Sud de la France. Avec un peu plus de trente-cinq ouvrages parus, depuis 1980, il reste un poète dis­cret. Les petits tirages sem­blent con­venir à sa mod­estie, qui car­ac­térise sou­vent les grands poètes. 

 

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