Nous ouvrons le beau livre de Sylvie Fab­re G., paru aux édi­tions L’Amouri­er, après avoir enten­du le titre : Frère humain. Nous voici prêts. Le sceau du titre nous engage sur la voie de la fra­ter­nité d’avec notre prochain. Un livre fouil­lant la fra­ter­nité humaine en tant que poé­tique, cela donne à rêver ce que nous allons peut-être y trou­ver. Et les pre­miers poèmes nous met­tent sur le chemin d’une parole aride, con­tenue, ser­rée, où la dureté le dis­pute à la lucid­ité douloureuse, celle capa­ble d’user de ses charmes pour trans­fig­ur­er un état des lieux en sup­plé­ment d’espace.

 

Elle cherche le mort
le trou­ve sur la page, prodigieux
tant de blond allié à tant d’air

 

Ce qui ani­me les lèvres est la mort qui “si féro­ce­ment bouge”. Une poé­tique humaine va donc ici se fonder, appuyée sur la mort, et les images déployées vont aug­menter d’une beauté glacée, et donc au con­tact brûlant, la peau de l’âme en appel de fra­ter­nité. L’om­niprésence de la neige, dont Pierre Dhain­aut dans sa remar­quable pré­face nous indique qu’elle efface les traces, les repères, et glace le quo­ti­di­en, ren­force la présence de l’ab­sence dans son para­doxale sur­gisse­ment. La neige. La parole, assim­ilée d’en­trée à des “rais de pous­sières”, image en sus­pen­sion dans l’air et pro­je­tant dans le regard l’é­clat impal­pa­ble que la grâce de la lumière nous rend silen­cieuse­ment tangible.

Une fra­ter­nité ren­due par le relief d’élé­ments frag­iles. L’écri­t­ure con­firme cet équili­bre pré­caire de l’hu­main en sa fra­ter­nité, par la mul­ti­pli­ca­tion des rejets sug­gérant des frac­tures, comme une parole bran­lante sur le fil de la vie. Mais ce procédé ren­force dans le même mou­ve­ment le fil du souf­fle qui rejette au vers suiv­ant la con­tin­u­a­tion de la res­pi­ra­tion hale­tante, au souf­fle court. Atti­tude titubante masquant la sureté de son tra­jet mortel.

 

si vite, si vite
la neige aus­si manque
de temps mais pas d’éternité
pour bat­tre le rappel

 

Chant ténu fait d’im­ages et de con­struc­tion dynamique, mais brodé d’im­ages — par­don — étincelantes.

 

Dans l’en-bas de la tombe
l’abeille de sa voix encore
bour­donne au suc de l’inachevé
poème qui fuit maintenant
l’alti­tude d’une parole

 

Cet étin­celle­ment dis­cret, comme incrusté par défaut dans la fibre des vers, n’at­ténue pas la fausse joie du poème. Tout appel à l’é­clat est con­tre­bal­ancé par l’am­pleur démesurée de son ombre :

 

A l’orée du bois, aujour­d’hui l’habitation
du bou­quet — sur le vert la cendre
ros­es filantes de la finitude
le présage et le germe
le terme et le chant d’avenir
l’at­tire dans son effu­sion de rouge
ce qui n’est plus au cœur de ce qui est
demeure en un lent évanouissement.

 

Mort. Cer­cueil. Effon­drement. Echouage. Inc­inéra­tion. Cen­dres. Squelet­tiques. Deuil. Effacé. Taris. Meur­tri. Le champ lex­i­cal de la dis­pari­tion pro­lifère comme un can­cer de mots lorsqu’on s’en­fonce plus pro­fond dans le livre. Le poème est un pis-aller à la mort qui emporte même le poème. La neige réap­pa­raît en par­tie finale de cette pro­ces­sion funèbre. Chaque mot aligné, vêtu de l’habit du deuil, forme une danse macabre ouverte sur le des-espoir, c’est à dire l’ab­sence d’e­spérance empor­tant la parole dans sa disparition.

“La mort n’a pas le dernier mot”, nous ras­sure Pierre Dhain­aut au sor­tir de sa pré­face, avant de pour­suiv­re : “avec l’amour, avec l’amour quand il affronte la mort, il n’y a pas de dernier mot”.

Il y a l’ab­sence, nous sug­gère Sylvie Fab­re G. L’ab­sence pri­vant le Frère humain du dernier mot.

 

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