Je ne conçois de poésie que lyrique

                                         Fed­eri­co Gar­cía Lorca

 

 L’écrivain Yves Véquaud nous a quit­tés en 2000. Il faut lui ren­dre hom­mage con­cer­nant l’édition de cette désil­lu­sion du monde, pour son hon­nêteté con­cer­nant la tra­duc­tion, j’y reviendrais, mais aus­si pour le courage de sa présen­ta­tion. Nous étions alors en 1989, le Mur de Berlin se fis­sur­ait à peine et la col­lec­tion Orphée pub­li­ait cette pré­face tout sauf « mil­i­tante ». En une époque où Fed­eri­co Gar­cía Lor­ca était util­isé avant tout à des fins par­ti­sanes. Du coup, ce qu’écrivait Véquaud prend un relief par­ti­c­uli­er. Ain­si, par­lant du poète espag­nol : « À cette école de sim­plic­ité, il reste dans la tra­di­tion biblique ou évangélique. Son vocab­u­laire est sem­blable à celui des Paraboles : le jour, la nuit, le soleil, la lune, l’ombre et la lumière, l’amour et la mort, l’eau ou le vin, le mar­bre, ou le figu­ier, ou le sel. Et puis l’œillet qui est son lys des champs ! Les choses qu’il a quo­ti­di­en­nement sous les yeux, intem­porelles, éter­nelles. Ce qui fait tout de suite référence. Des mots dont le lecteur con­naît bien la musique. » Il fal­lait oser alors lire Fed­eri­co Gar­cía Lor­ca sous un tel angle. Avec mesure et intel­li­gence. On s’étrangle d’indignation à droite ou à gauche ? Surtout à gauche ? Alors il faut avouer son banal manichéisme. Car cette lec­ture est juste­ment une de celles qui main­tenant peu­vent ouvrir de nou­veaux hori­zons vers la poésie de Gar­cía Lor­ca, lequel ne fut pas seule­ment antifas­ciste. Il fut… poète. Et poète avant tout. Et la poésie tend par nature vers le Beau. On l’imagine beau juste­ment, Gar­cía Lor­ca. Une belle âme lis­i­ble sur le visage.

Bien sûr, on ne le présente plus. Com­ment faire ? Présen­ter un mythe ! Et un mythe de gauche : « Je suis et je serai tou­jours du côté des pau­vres ». Peut-être tourn­erait-il cette phrase autrement, vivant aujourd’hui en cer­taines provinces de Hon­grie ou du Nord de la France. L’histoire prend par­fois de drôles de tour­nures. Bon… L’homme a été fusil­lé par les forces du Mal en 1936. On ne réécrira donc rien. Reste la poésie et le poète, l’immense poète Gar­cía Lor­ca, celui qui par­lait ain­si de la poésie en 1926 : « La poésie est un autre monde. Il faut fer­mer les portes par lesquelles elle s’échappe vers les oreilles grossières et les langues déliées. Il faut s’enfermer avec elle. Et là, laiss­er par­ler la voix divine et pau­vre, après avoir arrêté le jet d’eau. Non, pas de jet d’eau. Lorsque je dis voix, je veux dire poème. Le poème qui n’est pas habil­lé n’est pas un poème, comme le mar­bre qui n’est pas tra­vail­lé n’est pas une statue. » 

Et la tra­duc­tion ? La posi­tion de Véquaud est très intéres­sante. Amené à traduire ces poèmes, l’écrivain s’oppose à l’idée même de tra­duc­tion con­cer­nant la poésie. Pas d’interprétation de sa part, il moque même cette con­cep­tion de la tra­duc­tion. La ques­tion n’est pas d’être d’accord ou non. Plutôt d’admettre le point de vue autre. Alors, Véquaud assume une tra­duc­tion mot à mot (on imag­ine cepen­dant un sourire en coin) des­tinée dit-il à con­duire le lecteur vers le texte en langue orig­i­nale, le seul qui vaille de son point de vue. Sacré bon­homme ! On eut aimé ren­con­tr­er ce pré­faci­er qui écrivait pour finir : « Homme de gauche, Lor­ca ? Révo­lu­tion­naire ? Il y aurait, me sem­ble-t-il, une grande con­fu­sion à le soulign­er trop fort. Vic­time – lui aus­si – de la bêtise, certes ! Est-elle tou­jours de droite ? Ce fut un homme, un vrai, comme tous ceux qui appel­lent un chat un chat… et le dis­ent avec grâce. Sont-ils tou­jours de gauche ? ». C’est en relisant Gar­cía Lor­ca à l’aune de tels textes d’accompagnement que l’on réalise soudain com­bi­en l’air est devenu plus res­pirable en ce début de 21e siècle. 

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