Ces poèmes sont les dix pre­miers d’un recueil qui s’ap­pelle “Géo­graphiques”.

 

 

Les nuages étaient si courts qu’ils quit­taient nos mains avant même qu’on ait pu les saisir. La pluie n’était jamais très loin, il suff­i­sait d’ouvrir les bras pour recevoir quelques gouttes. C’était bien la peine d’être aus­si scrupuleux, de rester raisonnables. On serait mouil­lé de toute façon, alors, autant sauter dans les flaques d’eau en ren­trant ; autant jouer et s’amuser comme on le peut, avec des riens, de minus­cules plaisirs qui nous font rire.

 

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Ébloui par les berges comme si elles étaient seules en ce lieu sans partage, sans rien qu’une lente remon­tée. Avancer tout au bord, si près de la chute et revenir mesur­er l’étendue qui aspire, voir les enjeux, envis­ager les risques. Para­doxe des con­traintes qui se con­fron­tent au vide en amont de la perte. Chant à peine retenu, le soleil suit la course des arbres. Songer à ren­tr­er avant la nuit, avant le silence.

 

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Par­cours à venir sur la crête des îles. Au loin sur­na­gent des bancs d’écume que la chaleur soudaine ani­me grâce à la lumière, comme une ren­con­tre prévue depuis longtemps. Nul besoin de se présen­ter, l’écart des bouch­es reste le même. Il suf­fit d’attendre la pointe du jour afin de véri­fi­er l’escarpement des paroles. Tout sem­ble dit par un sim­ple geste de la main, une offrande à peine voilée.

 

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Les corps sans voix s’approchent du vide, sim­ple­ment pour voir, tan­dis que les mains sont ten­dues. La marche est acquise le long des pier­res sages ; elles roulent par­fois en faisant un bruit creux de porce­laine anci­enne. Grès et schistes s’opposent à la rigueur des points de vue tan­dis que l’eau devient l’enjeu dans laque­lle l’aube s’écoule avant la pluie. Des dia­logues avec des morts nais­sent par­fois, et s’il arrive de leur par­ler il sem­ble alors qu’ils répon­dent, sans colère mais sans rai­son, pour le plaisir de s’entendre.

 

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Peut-être quand la lune arrive au bout du chemin n’a‑t-elle pas encore per­du son aura. Les nuages cou­vrent d’ombres épaiss­es l’allée où il serait fou de s’aventurer, seul, par­mi des débris du ciel. Il faut trou­ver de l’aide auprès des arbres qui jalon­nent le par­cours, ou bien ten­dre la main à ceux qui souhait­ent faire par­tie du voy­age. Ne rien dire des choses funestes, par­ler comme on par­le chez nous, comme on le fait au café autour des ver­res ; par­ler des choses sim­ples, du linge à ranger avant que l’ombre inquiète ne chavire sur les rives.

 

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Les bruits chutaient les uns après les autres sans qu’aucun signe ne soit à l’origine de la perte. Ce furent d’abord les oiseaux qui en pre­mier cessèrent leur long babil­lage jusque-là inin­ter­rompu. Puis ils dis­parurent des haies, sans doute hap­pés par ces dernières ; les arbres à leur tour stop­pèrent les bruisse­ments le long de la route. Quelques trem­ble­ments les sec­ouèrent encore pen­dant de longues min­utes avant que leur ver­tige s’estompe dans une docile ago­nie. Enfin, toute activ­ité dis­parut. Le ciel répan­dit sur le monde ses larmes blanch­es de paix et de silence.

 

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Quand les arbres con­courent au bruit d’éternité de la forêt, ils se bat­tent sans com­pren­dre qu’ils ont déjà per­du face à la pluie. Un oiseau par­mi d’autres fait enten­dre son cri ; c’est suff­isant pour que le réel s’éclaire, car à peine se sont-ils envolés que les hommes pren­nent la parole. Elle est cette marge qui nous absente de l’heure à l’aplomb des regards. L’aperçu des voyelles est le même qu’hier, sans voix et sans ressources autres que celles des bro­chets et des carpes glou­tonnes le long de la riv­ière et dans l’étang.

 

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À pas meur­tris, nous avions franchi les pass­es et étions ren­trés dans nos maisons ; l’automne venait juste d’apparaître et nous avions encore le goût des fruits dans la bouche. Mais il nous avait fal­lu faire vite même si, à mi-mots, nous nous étions arrêtés par­fois, sus­pendus à notre chemin. Et au petit matin on entendait encore le cri des chou­ettes par-dessus les toits. Doré­na­vant, la ville n’effrayait plus.

 

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Autour des pail­lis où dansent les oiseaux s’accumule la neige, longtemps sus­pendue, demeurée lourde sous les pro­jets du ciel mal défi­nis. Au cru­el par­cours des heures, qui pour­rait douter des formes à venir après les promess­es du dégel ? Dévoile tes ambi­tions aux oiseaux qu’ensanglantent les pâtures, le soleil est une larme à séch­er sur ton front.

 

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Le vent souf­flait entre les maisons ; il sem­blait traîn­er avec lui de lour­des chaînes car on entendait dis­tincte­ment les chocs sur les troncs et les rochers dont les échos mon­taient jusqu’à moi. Com­bi­en de temps nav­iguerait-il ain­si autour des con­struc­tions humaines ? Il marte­lait sans cesse, à peine pou­vais-je laiss­er échap­per un soupir entre deux rafales. Mais je savais que ça n’avait pas d’importance. Seule comp­tait ma déter­mi­na­tion à fix­er des repères.

 

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