Ce livre est dédi­cacé au petit-fils de l’auteur, Achille.
« Lire / n’est rien // que le tra­vail d’une naissance »

Ce Livre nous ren­voie aux mul­ti­ples vis­ages du monde, dont celui de l’enfant nou­veau-né, ouvert à tous les pos­si­bles  ̶  un livre qui inter­roge aus­si notre emploi des mots, notre rap­port au lan­gage et notre alié­na­tion, par le malin pou­voir des méth­odes de « manip­u­la­tion des mass­es » et de désinformation.

A la suite des Hautes Huttes (2021), recueil divisé en mille qua­trains, on entre dans Le Livre, cette fois déployé en cinq temps, cha­cun divisé en cent ter­cets, et c’est une coulée chiffrée qui vient pos­er ses mots comme des maximes qui se cherchent, poèmes légers et médi­ta­tions ouvrant des ques­tions qui restent en sus­pens au fil d’une ryth­mique à la fois réfléchie et intu­itive. On notera le rap­pel ver­doy­ant de la cou­ver­ture du recueil précé­dent, ici un détail du tableau de Klimt : Étang du château à Kam­mer am Attersee.

 « Ce n’est pas du livre / qu’il faut par­ler // mais de l’expérience » nous dit d’emblée Gérard Pfis­ter. L’expérience est-elle tou­jours pre­mière sur l’écriture ? De quelle expéri­ence nous par­le l’auteur ?

Gérard Pfis­ter, Le Livre, suivi de L’expérience des mots, Edi­tions Arfuyen, (paru­tion le 9 mars 2023), 228 pages, 17 €.

Toute la durée musi­cale de la pre­mière par­tie de ce grand Livre nous délivre ses mod­u­la­tions infinies. L’écriture fait l’expérience directe des mots – le Livre est une par­ti­tion musi­cale, un chemin de pen­sées qui roulent les unes sur les autres, s’enroulent, se déroulent, se tressent, sur un fond apaisé, ouvert, généreux, qui a recours au vide pour trou­ver sa res­pi­ra­tion – fait entr­er de l’air entre les lignes des ter­cets pour ren­dre audi­ble la vibra­tion de la langue, « comme un chant très lointain ».

Ce sont les mots qui vivent leur expéri­ence en tant que mots dans l’écriture, cela plus que l’auteur ; ce sont les mots qui fondent et son­dent notre expéri­ence vécue du monde. Ce sont les mots qui nous vivent mais si nous ne vivons que par eux, le risque est grand de nous per­dre. Gérard Pfis­ter se met à leur dia­pa­son et les écoute. Les mots sont leurs pro­pres acteurs du sens qui se donne ; ils sont vivants dans un « jeu per­pétuel » lorsqu’ils sont libres, ont la « grâce » dans toutes leurs résonances.

Avoir de l’expérience est un savoir-faire, un savoir user de ses acquis ; mais pour l’écriture poé­tique, cette expéri­ence n’est pas un avoir, ni un méti­er, ni une recherche au sens d’expérimentation. L’expérience des mots, « c’est autre chose » ; elle nous ani­me, nous enveloppe, nous délivre du car­can de nos habi­tudes de penser, mais peut aus­si nous sépar­er du monde, bien que cher­chant son con­tact, pour éviter de se noy­er dans cette « sorte d’aliénation men­tale qu’on appelle le langage ».

Les mots ont deux faces nous rap­pelle Gérard Pfis­ter : ils peu­vent nous pro­téger « par la magie du Verbe », ils peu­vent aus­si être destruc­teurs : « les mots ont sur le réel un effet pré­da­teur ». Cette intru­sion qu’ils font dans notre vie, au risque de se sub­stituer à la réal­ité, con­stitue un réel dan­ger. De leur capac­ité de descrip­tion à celle de défor­ma­tion ou celle d’inventer une autre réal­ité, nous nous retrou­vons « vic­times » ou « étrangers au monde ». La dés­in­for­ma­tion numérique, le fanatisme religieux, la cat­a­stro­phe écologique, sont engen­drés par les mots et « nous en sommes com­plices ». Mais bien sûr « C’est de notre cré­dulité qu’il faut nous méfi­er bien plus que des mots eux-mêmes ».

Pour­tant nous dit Gérard Pfis­ter cette matière des mots peut être « noble », « pré­cieuse de pos­si­bil­ités affec­tives, sen­sorielles, spir­ituelles ». Les mots peu­vent nous pro­cur­er un « ravisse­ment ». Il entre en eux une matière musi­cale qui con­stitue la matière ver­bale. Et d’évoquer le théâtre dans la Grèce antique accom­pa­g­nant de musique la parole poé­tique, ou Mon­tever­di liant ses sonorités au rythme des poèmes chan­tés. Musique et poésie sont insé­para­bles dans un déroule­ment tem­porel tou­jours tran­si­toire et « infin­i­ment renou­ve­lable » — dans ce con­tin­u­um se jouent de « mer­veilleuses expéri­ences », tou­jours jail­lis­santes et précaires.

Avec la diver­sité des mots et des sons, Le Livre se com­pose en sec­tions de temps pour garder la fraîcheur de son élan poé­tique et le sus­pens de son déroule­ment, par vari­a­tion d’intensités, comme sur la palette d’un peintre.

Lire est aus­si faire l’expérience du Livre, par­ticiper au tra­jet de son écri­t­ure, être son témoin act­if et son « audi­teur ». On entre dans les mots et les mots nous tra­versent ; l’échange est con­tinu, et la pen­sée suit (une pen­sée qui, comme l’expérience, « n’est peut-être // qu’un rêve). Elle naît à ce point de ren­con­tre où ce qui par­le rejoint le silence même de « l’expérience des mots ». La pen­sée ne précède pas la ges­ta­tion ni le tra­vail de mise au monde du Livre, elle vient juste après, comme son fruit. « L’expérience des mots » est une décan­ta­tion, « le moin­dre mot suf­fit ». Mais tou­jours survi­en­nent le ver­tige, la ren­con­tre, par l’effort des yeux qui « ten­tent de lire » sur l’horizon, à la vitesse de nos ques­tions, au rythme de nos pulsations.

Trans­met­tre la trans­parence des mots, avec ce qu’ils reflè­tent du monde, au plus près de la réal­ité et non en usant du mot pour le mot. Préserv­er la flu­id­ité et l’ouverture de la fenêtre qu’ils sont cha­cun et ensem­ble pour per­me­t­tre le pas­sage du sens, du sen­si­ble et nous délivr­er avec eux des déf­i­ni­tions con­v­enues, des sig­ni­fi­ca­tions fixées, pour retrou­ver une lib­erté sou­veraine, celle d’une con­science libre de ressen­tir et d’exprimer. « Le livre / n’est là // que pour nous délivr­er », « Le livre / n’est là // que pour nous accorder ».

Marie Alloy

Beau­gency, 8 mars 2023

(Livre reçu en avant-première)

Présentation de l’auteur

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Marie Alloy

Marie Alloy, née en 1951 près de Douai, (ville natale de Marce­line Des­bor­des-Val­more, où Corot et Rim­baud ont peint et écrit) développe, dès l’enfance, un goût pour la poésie et la pein­ture. Etudes artis­tiques, puis enseigne­ment des arts plas­tiques. Aujourd’hui elle partage son temps entre la pein­ture, la gravure, l’édition, et l’écriture sous forme de poèmes, de notes d’atelier et d’écrits sur la pein­ture. Nom­breuses expo­si­tions per­son­nelles et col­lec­tives autour de la poésie, de la pein­ture et de l’estampe (voir site). Pour Marie Alloy, ces divers­es activ­ités créa­tri­ces sont insé­para­bles et com­plé­men­taires. Elle accom­pa­gne égale­ment de ses créa­tions graphiques et pic­turales de nom­breux livres chez d’autres édi­teurs et en revues, (tirages de têtes, fron­tispices, cou­ver­tures, pages intérieures) chez L’herbe qui trem­ble, Al Man­ar, Fata Mor­gana, Let­tres Vives, Cadex, A l’Index, L’ail des ours…etc. Marie Alloy a créé sa mai­son de livres d’artiste de bib­lio­philie avec des poètes con­tem­po­rains en 1993 sous l’enseigne des édi­tions « Le Silence qui roule » (dont deux livres avec Guille­vic, de son vivant) et sa mai­son d’édition courante en 2018, sous le même nom. Elle y a créé trois col­lec­tions Poésie du Silence, Cahiers du Silence et depuis sep­tem­bre 2021 Ate­liers du Silence. AUTEURS PUBLIES : Jean-Louis Ben­ta­jou, Isabelle Lévesque, Jean-François Mathé, Chris­tine Givry, Gérard Bocholi­er, Béa­trice Mar­chal, Jean Pierre Vidal, Gilles Lades. Site : www.lesilencequiroule.com BIBLIOGRAPHIE ÉDITION La couleur man­quante, édi­tions Le Bateau Fan­tôme, 2021 L’empreinte du vis­i­ble, édi­tions Al Man­ar, col­lec­tion La parole peinte. 2017 Cette lumière qui peint le monde, écrits sur l’art, édi­tions L’Herbe qui trem­ble. 2017 Un chemin d’enfance, sur le tableau Une route près d’Arras de Corot, Edi­tions Inven­it, 2012 Taille douce inci­siv, Wig­wam, 2001 LIVRES D’ARTISTE avec poèmes et pein­tures de Marie Alloy Brasi­er frag­ile, Al Man­ar poésie- 2020 Chemins de ronde, éd. Azul, José San Mar­tin — 2020 Quelques éclats fur­tifs, gravures C. Vielle, éd. Mirages- 2018 L’empreinte du vis­i­ble, Al Man­ar, édi­tion de tête — 2017 Dans l’embrasure des mots, éd. Azul, Jose San Mar­tin — 2015 Ce vers quoi nous allons, Le Silence qui roule – 2014 L’Humus et la lumière, Al Man­ar — 2013 Qua­tre paysages, Le Silence qui roule ‑1999 Scories, éd. Céphéides – 1999 MARIE ALLOY par­ticipe (ou a par­ticipé) à divers­es revues de poésie et d’art comme : Décharge, Arpa, Théodore Bal­moral, Ver­so, L’Ate­lier Con­tem­po­rain, Nu(e), Nord, Scher­zo, Fara­go… REVUES (sélec­tion): Quelques aubes en hiver, poèmes de Marie Alloy, Revue Décharge 186 – 2020 Îlot d’être, à Antoine Emaz”, poèmes et estam­pes de Marie Alloy, revue N47 ‑Angers, Poly­phonies (hom­mage col­lec­tif)- 2019 La ten­ta­tion du bleu, poème de Marie Alloy, dans Etais, col­lec­tif, pho­tos de J‑F Agos­ti­ni — 2019 Le temps de la gravure, Les Cahiers de La Lionne n°1 Le Silence qui roule — 2014 Vis­ite à Jacques Truphé­mus , revue Théodore Bal­moral, n° 65 — 2011 Un rêve de ver­ti­cal­ité , Françoise Ascal, col­lec­tif, autour de Gas­ton Bachelard, Ed. Apogée Une ascèse lumineuse (Gior­gio Moran­di) , Théodore Bal­moral, n° 62–63 — 2010 Entre deux eaux, revue NU(e) 38, N° spé­cial Guille­vic, 2008 Bon­nard, à la source, revue Théodore Bal­moral, n° 55 – 2007 Le sens pro­fond de la terre, sur D. Sampiero, Nord’ n°49 — 2007 Il n’y a pas d’ange qui tienne, Théodore Bal­moral, n° 52/53 — 2006 Ce qu’il te reste, Revue Sept, n°1, édi­tions C.I.D.E.L.E, Angoulême — 2002 Le drame de la pein­ture de Valère Nova­ri­na, L’Atelier con­tem­po­rain n° 4 — 2002 Quelque chose comme écrire-voir, Revue Scher­zo : n° 12–13 : sur Emaz — 2001 Notes sur la gravure, L’Atelier con­tem­po­rain n° 3 — 2001 Tra­ver­sées du tableau, dans «Strates», col­lec­tif sur Jacques Dupin, Edi­tions Far­ra­go — 2000 Dénu­dités, fig­ures défig­urées, poèmes et mono­types de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2000 L’animal à l’épreuve de la gravure, Le Bes­ti­aire de Cham­bord, Clin­ique de Saumery, 1999 Sur Danièle Gibrat et Claude Buraglio, Revue Ver­so, 1999 La cham­bre rose, dans «For­tunes du regard», Espace Paul Ricard, 1999 À paraître : « Ain­si par­lait Eugène Delacroix », avec Jean Pierre Vidal, édi­tions Arfuyen, 2022. REVUE DE PRESSE : 2021 : cat­a­logue de l’ex­po­si­tion L’empreinte des saisons, Beau­gency. 2018 : Cat­a­logue « 25 ans d’édition », Médiathèque d’Orléans 2017 : Arts et Métiers du Livre n°321, un bel arti­cle de Marie-Paule Per­on­net sur le livre réal­isé par Marie Alloy, sur des poèmes de Françoise Hàn, “Liés Déliés”. 2017 : Revue JAD, Orléans, par F. Degranges : Marie Alloy, la quête du silence, l’acte de voir 2016 : Arts et métiers du livre, été 2016: arti­cle de Priscille de Las­sus sur Marie Alloy et ses édi­tions 2013 : Arts et métiers du livre — Stéphanie Durand-Gal­let, sur « Même la nuit, la nuit surtout », de Pierre Dhain­aut et Marie Alloy. 2008 : Pierre-Gérard Fouché : « L’ Éros sou­verain», poème de Guille­vic, gravé par Marie Alloy. 2008 : Cat­a­logue “Guille­vic et le livre d’artiste”, expo­si­tion Carnac. 2007 : Richess­es du livre pau­vre, Daniel Leuw­ers, Gal­li­mard 1998–2000 : Arts et métiers du livre : arti­cles par Marie-Paule Péron­net. 2006 : Édi­tions UNES en toutes let­tres “ Car­ré d’Art”, Bib­lio­thèque de Nîmes 2004 : E.T.C, revue du CRRL de la région Cen­tre, inter­view de Marie Alloy par Jean-Claude Renard 2002 : L’e­stampe, objet rare – de Jörge de Sousa Noron­ha — Édi­tions Arts et métiers du livre 2000 : Cat­a­logue des édi­teurs de bib­lio­philie en région cen­tre, Cen­tre Région­al du Livre 1999 : Guide des pro­fes­sion­nels des arts du livre, Édi­tions Arts et Métiers du livre Vendôme 1999 : Itinéraires d’édi­teurs d’ou­vrages d’art et de recherche, Édi­tions Vis à Vis, Mar­seille. CONTACT : Marie Alloy 26 rue du Chat qui dort 45190 BEAUGENCY 06 78 46 04 00 marie.alloy@orange.fr www.lesilencequiroule.com