Richard Rognet, Dans un nid de flammes

Par |2024-02-06T14:09:33+01:00 6 février 2024|Catégories : Critiques, Richard Rognet|

 Rognet emprunte son titre à un vers de Rim­baud dans son poème Nuit de l’En­fer : Extase, cauchemar, som­meil dans un nid de flammes. D’ailleurs, il le sig­nale dans une note en fin de livre et pré­cise : Ain­si, je me rap­proche de Rim­baud, comme j’ose penser qu’il le fait pour moi, me sig­nalant où je puis le retrou­ver, le rejoin­dre, au sein d’embrassades drues, de frôle­ments émus, au point que ce qui est à l’un est aus­si intem­porelle­ment à l’autre.

Il s’ag­it en effet de frôle­ments, plus que de références directes, une par­en­té que ressent peut-être plus l’au­teur que ne le fera le lecteur. Formelle­ment d’abord : point de poème en prose comme pour Une sai­son en Enfer, mais des poèmes rimés (quelques excep­tions à l’in­térieur de cer­taines stro­phes), tous con­stru­its sur le même mod­èle : sept qua­trains pentasyllabiques.

Une hor­ri­ble crasse
cou­vre les maisons,
je sais les grimaces
qui don­nent raison

aux men­songes flous
qui dressent des piques
sous nos chants épiques
immen­sé­ment fous,

je vais de guingois,
frileux, mal­adroit,
j’ai l’al­lure sotte
d’un jour lourd de flotte,

pourquoi con­tem­pler
ma mis­ère nue ?
Vaut-elle une nue
jalouse des blés ?

Je ne com­prends rien
au couloir sonore
où s’a­bat l’aurore
sur mes va-et-vient,

regarde ! me dis-je,
ton chemin vaincu,
a‑t-il jamais su
où pousse une tige ?

où le vent se colle
à la boue des routes ?
suiv­ant ta déroute
entre les deux pôles.

Et c’est là le deux­ième dif­férence : on est loin des ful­gu­rances hal­lu­cinées de Rim­baud., aus­si du style impec­ca­ble de ses poèmes en vers : je vais de guin­go­is, / frileux, mal­adroit, / j’ai l’al­lure sotte / d’un jour lourd de flotte ne résiste pas à la com­para­i­son avec : Si je désire une eau d’Eu­rope, c’est la flache / Noire et froide où vers le cré­pus­cule embaumé / Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche / Un bateau frêle comme un papil­lon de mai.

Certes, de légers clins d’œil ren­voient à l’homme aux semelles de vent mais sans éclat : il me précé­da / partout dans le monde, / ô ma triste ronde, / mes pieds dans le plat ! // dans ses yeux trop bleus / aucune voyelle / ne com­prit le feu / qui ram­pait sous elle. Mais il ne suf­fit pas d’écrire Mon Rimbe, mon beau, ni pis­sotière, odeurs, faisant sans doute référence à ces vers On le voy­ait, là-haut, qui râlait sur la rampe, / Sous un golfe de jour pen­dant du toit. L’été / Surtout, vain­cu, stu­pide, il était entêté / À se ren­fer­mer dans la fraîcheur des latrines, extraits du poème Les poètes de sept ans pour égaler la façon inci­sive et ciselée du gar­ne­ment sub­lime, comme le surnom­mait Mal­lar­mé. Rim­baud écrit dans son poème en prose Vagabonds, extrait des Illu­mi­na­tions : Pitoy­able frère ! Que d’a­tro­ces veil­lées je lui dus ! […] J’avais en effet, en toute sincérité d’e­sprit, pris l’en­gage­ment de le ren­dre à son état prim­i­tif de fils du soleil, — et nous errions, nour­ris du vin des cav­ernes et du bis­cuit de la route, moi pressé de trou­ver le lieu et la for­mule. Ce qui donne chez Richard Rognet : Feu, vagabond, frère, / à quoi rêves-tu ? / moi, ce que j’e­spère / ne sera pas tu, // le lieu, la for­mule / d’un fils du soleil, / voilà mon éveil / lorsque tout bascule

 

 Richard Rognet débute son poème, page 59, par : Je cours à tes trouss­es / car tu n’es pas mort

 Gageons qu’il peut courir longtemps…

Richard Rognet, Dans un nid de flammes, Édi­tions L’herbe qui trem­ble, 2023, 150 pages, 18 €.

 

Présentation de l’auteur

Richard Rognet

Richard Rognet est un poète français né en 1942 au Val‑d’A­jol, dans les Vos­ges. Il vit actuelle­ment à Dom­­martin-lès-Remire­­mont. Il étudie ensuite les Let­tres à l’Université de Nan­cy. Il pub­lie son pre­mier recueil en 1966. En 1969, il devient enseignant à l’École Nor­male de Mire­court puis à Épinal, où il pré­pare égale­ment une thèse sur Buf­fon, avant d’intégrer le Col­lège Jules-Fer­­ry comme pro­fesseur de Let­tres. En 1994, il devient Cheva­lier dans l’Ordre des Arts et des Let­tres. Il obtient en 2002 le Grand prix de Poésie de la Société des gens de let­tres pour l’ensem­ble de son œuvre, déjà récom­pen­sée par de nom­breux prix et traduite en de nom­breuses langues.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

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Jean-Christophe Belleveaux

Jean-Christophe Belle­veaux est né en 1958 à Nev­ers. Il a fait des études de Let­tres Mod­ernes et de Langue Thaï. Grand voyageur, il a égale­ment ani­mé la revue de poésie Comme ça et Autrement durant sept années. Il a béné­fi­cié de deux rési­dences d’écri­t­ure (une à Rennes, l’autre à Mar­ve­jols) et a beau­coup pub­lié. Bib­li­ogra­phie : •Com­ment dire ? co-écrit avec Corinne Le Lep­vri­er, Édi­tions La Sirène étoilée, 2018 •Ter­ri­toires approx­i­mat­ifs, Édi­tions Faï fioc, 2018 •Pong, Édi­tions La tête à l’en­vers, 2017 •L’emploi du temps, Édi­tions le phare du cous­seix, 2017 •cadence cassée, Édi­tions Faï Fioc, col­lec­tion “cahiers”, 2016, •Frag­ments mal cadas­trés, Édi­tions Jacques Fla­ment, 2015 •L’in­quié­tude de l’e­sprit ou pourquoi la poésie en temps de crise ? (ouvrage col­lec­tif de réflex­ion de 21 auteurs), Édi­tions Cécile Defaut, 2014 •Bel échec co-écrit avec Édith Azam, Le Dernier Télé­gramme, 2014 •Démo­li­tion, Les Car­nets du dessert de Lune, 2013 •ces angles raturés, ô labyrinthe, Le Frau, 2012 •Épisode pre­mier, Raphaël De Sur­tis, 2011 •CHS, Con­tre Allées, 2010 •Machine Gun, Poten­tille, 2009 •La Fragilité des pivoines, Les Arêtes, 2008 •La quad­ra­ture du cer­cle, Les Car­nets du dessert de Lune, 2006 •soudures, etc., Pold­er / Décharge, 2005 •Cail­lou, Gros Textes, 2003 •Nou­velle approche de la fin, Gros Textes, 2000 •Géométries de l’in­quié­tude (nou­velles), Ed. Rafaël de Sur­tis, 1999 •Dans l’e­space étroit du monde, Wig­wam, 1999 •Pous­sière des lon­gi­tudes, ter­mi­nus, Ed. Rafaël de Sur­tis, 1999 •le com­pas brisé, Pays d’Herbes, 1999 •Car­net des états suc­ces­sifs de l’ur­gence, Les Car­nets du dessert de Lune, 1998 •Le fruit cueil­li, Pré Car­ré, 1998 •Bar des Pla­tanes, L’épi de sei­gle, 1998 •sédi­ments, Pold­er / Décharge, 1997 •L’autre nuit (avec Yves Humann), édi­tions Saint-Ger­main-des Prés, 1983 En antholo­gies : •Nous la mul­ti­tude, antholo­gie réal­isée par Françoise Coul­min aux édi­tions du Temps des ceris­es, 2011 •Dehors, antholo­gie sans abris, édi­tions Janus, 2016 •Plus de cent fron­tières (par­tic­i­pa­tion à l’an­tholo­gie), édi­tions pourquoi
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