Il est probablement intéressant de savoir que Benjamin Torterat est doctorant en philosophie et que son sujet de thèse est : « Le mythe entre émancipation et domination ». La lecture de sa première publication en poésie s’en trouvera peut-être éclairée.
Son livre, l’étendue passionnelle, est construit en trois parties, les deux premières avec une adresse directe « Toi » vers une aimée, présente / absente, évoquant le rapprochement charnel, celui au travers duquel on espère communier, mais celui aussi qui nous dit l’irrémédiable séparation ontologique, la troisième partie regroupant, quant à elle, trois pavés de texte dans un épanchement moins contenu.
On pourra brièvement songer à André Du Bouchet, que ce soit sur la disposition formelle du poème, la présence pointillée des mots sur le blanc de la page voire sur le fond quand celui-ci affirmait : « Seul celui qui a peu de moyens a quelque chose à dire. »
infini-Toi
l’essentiel
peut-être
Toi
s’affaler
dans l’absence

Benjamin Torterat, L’Etendue passionnelle, Editions de la Crypte, 2023, 12 €.
Chaque mot, ainsi sacralisé en quelque sorte, veut une importance extrême, de même que le blanc, part intégrante du poème réclame sa part de sens. Faut-il le chercher dans cette absence, douleur du manque, dans une aspiration plus haute, « recherche / irréductible // d’une unité », quitte à en passer bien sûr par le corps, « dans l’aube / les peaux // luisantes / tout contre / par à coups » — car c’est le corps qui est essentiellement affiché au long de ces poèmes : « jouir / des nudités » – faut-il, dans ce qui est énoncé et dans ce qui ne l’est pas, questionner la langue, particulièrement celle, poétique, qui va caviarder, omettre, suggérer, inventer « se sombrer » ?
poursuivre
la quête
l’ouverture
elle est désordre
La partie II du livre semble plus directement lisible, j’entends par là, tout d’abord moins de dispersion des vers sur la page, ensuite, malgré la retenue du propos, l’aveu de l’échec passionnel.
Toi tendresse
pas tout à fait défigurée
tremblantesur la bouche
plus tout à fait la hâte de
se rapprocher
La troisième partie nous donne trois pages qui semblent d’écriture quasi automatique d’un jeune auteur qui condense comme il le dit lui-même « ébullition d’une plaie à vif enlacer s’amouracher reculer fléchir », « implacablement dans la caboche dans la veillée dans l’espoir ».
Cet espoir lui vaut évidemment notre sympathie.
Présentation de l’auteur

- Philippe Leuckx, Matière des soirs - 20 mai 2023
- Benjamin Torterat, L’Etendue passionnelle - 29 avril 2023
- Loïc Demey, Jour Huitième - 21 avril 2023
- Emmanuel Echivard, Pas de temps - 6 avril 2023
- Gustavo Adolfo Bécquer, Rimes - 20 mars 2023
- Ángelos Sikelianós, Le Visionnaire - 6 mars 2023
- Un Sicilien très français : Andrea Genovese - 21 février 2023
- Jacques Vandenschrick, Tant suivre les fuyards - 24 janvier 2023
- Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques - 21 décembre 2022
- Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra - 4 décembre 2022
- Philippe Lekeuche, L’épreuve - 21 novembre 2022
- Une flânerie à travers la poésie contemporaine mexicaine - 6 juillet 2019
- Eric DUVOISIN, Ordre de marche - 31 mai 2017
- Gérard CHALIAND, Feu nomade - 24 avril 2017