Décidé­ment la fin du XIX° siè­cle, et les pre­mières décen­nies du XX°, auront été rich­es de poésie dans tout l’espace ger­manophone : enté sur la « rêver­ie » sym­bol­iste, on y voit peu à peu s’éployer tout de qui va don­ner lieu au sur­réal­isme (dans sa ver­sion la plus réelle – et non pas comme nous l’avons trop sou­vent fan­tas­mé en le pli­ant à nos fauss­es raisons), puis à l’expressionnisme dans sa volon­té de voir der­rière les apparences : Fritz Lang et ses Nibelun­gen, ou sa Lil­iom, ne sont jamais très loin, et on a vite fait de con­stater, der­rière les diver­gences appar­entes, tout ce qui fait la par­en­té d’un Rilke, d’un Kaf­ka, d’un Thomas Mann, d’un Ste­fan George ou d’un… Carl Gus­tav Jung, qui s’inscrit d’évidence dans ce phy­lum d’inspiration et dans cet hori­zon de réflexions.

Et c’est ain­si qu’il nous est don­né aujourd’hui de redé­cou­vrir (en bilingue, s’il vous plaît !.), les poèmes absol­u­ment vision­naires d’un Lud­wig Der­leth. Mélange de mys­tique chré­ti­enne poussée jusqu’à l’extrême, et, à l’école de Friedrich Niet­zsche et de ses Dithyra­mbes, de dion­y­sisme exalté – pas très loin, en tout cas, de la philoso­phie d’un Klages et de tout ce qu’elle a lit­térale­ment révo­lu­tion­né dans cette aire de cul­ture. Choix de poèmes qui s’imposait, tous tirés du Coran Franc (com­ment don­ner l’œuvre tout entière ?), et qui nous fait nav­iguer d’Eleusis et de ses éter­nels mys­tères jusqu’au « Saint » qui fai­sait (pro­vi­soire­ment ?) clô­ture à ce recueil.

Impos­si­ble de ne pas trem­bler, par exem­ple, en lisant que « Ani­mé par le par­fum sauvage/ je m’arrête sur le versant/ où dans le calme profond/ par­mi les bleus piliers de basalte/ la jeune forêt soulève ses cimes,/ le dernier bruit de la hache s’évanouit/ et la Sibylle scin­til­lante et bleue/ tisse le silence, tou­jours plus dense. » Vers que suiv­ent immé­di­ate­ment les nota­tions que voici : « Noyé dans le vin rouge et ivre du soleil/ déjà le jour a som­bré dans les bras de la nuit./ La peine s’écoule et vague pour vague/ mes douleurs suiv­ent ses flots./ Clair de lune et lueurs de crépuscule/ inon­dent les rochers de ma demeure./ Le silence grandit dans ma cellule./ Voici venue l’heure où s’éveille mon cœur. » Loin­tain écho de Baude­laire et de son son­net « Sois sage, ô ma douleur… », évo­ca­tion plus ou moins détournée de cet « occultisme » qui a per­mis à des généra­tions entières d’échapper à l’impérialisme d’une rai­son sèche, dom­i­nante, et bien trop sûre d’elle-même, ouver­ture à cet « au delà de tout » qui pré­parait son retour (par­fois dans la ter­reur de l’Histoire et le pire de ce que peu­vent con­coc­ter les humains), dans l’inconscient le plus pro­fond de l’Occident…

Alors, même si nous pou­vons regret­ter que ne soient pas offerts – au moins ! – quelques extraits des Méta­mor­phoses de Pan­do­ra, nous allons tout droit vers cette dernière dis­pen­sa­tion : «  Instant sans fin, si intime, si éternel,/ m’élever par mes pen­sées vers l’Ether,/ vain­cre de la terre les dernières barrières,/ m’attacher fer­me­ment à la ronde dorée,/voilier dans l’azur,/ diriger mon voy­age vers de nou­veaux cieux/ tout près des yeux du monde divin./ Païen et chré­tien ne sont plus,/ le sen­ti­ment cos­mique s’évapore ici,/ ici la fontaine boit à la mer de Dieu. » Où se réc­on­cilient et se sup­plé­mentent les con­traires — là-bas, tout là-bas — dans l’éternité qui gît au secret de nos âmes…

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