Bien sûr, nous con­nais­sions déjà les liens qui avaient uni Francesca Caroutch et François Augiéras.

Bien sûr, nous con­nais­sions déjà tout l’effort de Francesca pour percer les secrets de la Licorne et pour met­tre en évi­dence ce « vide orig­inel » dont nous sommes tous issus.

Mais, der­rière ces arti­fices du savoir, que con­nais­sions-nous réellement ?

Or, voici qu’une par­tie du « man­teau » se lève, et que nous accé­dons à cette médi­ta­tion si pro­fonde qui dirige toute une vie.
Lorsque Francesca Caroutch écrit ain­si de François Augiéras (beau­coup trop tôt dis­paru), que « cet exilé sur terre com­mençait à devenir l’athée le plus religieux qui se puisse imag­in­er » ; lorsqu’elle con­tin­ue quelques lignes plus bas en déclarant de leur cou­ple : « Nous savou­ri­ons avec délices cette locu­tion médié­vale, redé­cou­verte par notre ami sur­réal­iste Andralis : ‘Dieu est l’anagramme du vide’ », on s’aperçoit avec quelle force elle est proche de Suzu­ki ou de cer­tains hin­dous dans leur recherche obstinée des « ponts » entre maître Eck­hart et la pen­sée ori­en­tale, ou dis­ons tout sim­ple­ment : comme elle s’approche du cœur noir, du cœur de Ténèbre pour­tant ruis­se­lant de Lumière, de ce que, dans notre lan­gage occi­den­tal, nous appelons une théolo­gie néga­tive – c’est-à-dire  de la façon dont nous devons bien admet­tre que, du principe de Tout, nous ne pou­vons rien dire,  que nous ne pou­vons le définir que selon un « sys­tème » de néga­tions (Il n’est pas ceci… Il n’est pas cela), jusqu’à nier la néga­tion elle-même au plus intime d’une expéri­ence vécue, et qu’en défini­tive, comme l’avançait déjà le pseu­do-Denys, nous ne pou­vons le sug­gér­er qu’en dépas­sant toute affir­ma­tion et toute néga­tion, dans une per­cée vers ce que ce dernier dénom­mait un « Néant suressentiel ».

Mais quel chemin à par­courir sur cette route si exigeante ! Quel chemin d’amour pas­sion­né pour cet autre qui a don­né sens à notre vie, quelle atten­tion à tout ce qui nous tra­verse en nous par­lant à l’oreille d’un au-delà auquel, en cette exis­tence, nous n’aurons peut-être jamais accès !

« La matière existe-t-elle ? », se demande ain­si Francesca. En répon­dant à la page suiv­ante (même si elle par­le, apparemment,
d’autre chose : « Au roy­aume de l’Invisible, le dia­logue se pour­suit, avec mon grand souf­fle et mon guide. » Et en notant très bien­tôt, reprenant les vieilles cos­molo­gies des Grecs, des her­métistes d’Alexandrie et de Mani  le Perse– ou, aujourd’hui encore, de l’Ayur-veda : «  Les cas­cades remon­tent vers l’éther. »

Pour ter­min­er ce recueil par ces mots sans appel qui le résu­ment tout entier – et qui pour­raient être l’étendard de toute la poésie, et de toutes les recherch­es, me sem­ble-t-il, de Francesca Caroutch : « Pour toi, cete guêpe de lumière, / tracée avec un pinceau de mots. »

Sommes-nous si loin de l’apophatisme du Chris­tian­isme ori­en­tal, ou de nom­bre de « déc­la­ra­tions » des maîtres taoïstes ?
 

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