Je pense que tout le monde con­naît, ne fût-ce que de nom, Jean-Paul de Dadelsen. Cet auteur qui, comme le mon­tre bien Gérard Pfis­ter dans un texte inspiré, est à la fois français, alle­mand, anglais et… alsa­cien dans son écriture.

Je voudrais pour­tant revenir sur ce que l’on a réu­ni sous le titre  La beauté de vivre, et qui recueille les lettes qu’il envoya dans son ado­les­cence à son oncle Eric, accom­pa­g­nées de quelques poèmes au même correspondant.

Petit ouvrage précédé par quelques con­sid­éra­tions (pré­cieuses) de cet oncle sous son nom d’Erik Jung. Qui font bien ressor­tir le rap­port étroit de Dadelsen à la musique (n’entend-on pas dans les vers de sa « matu­rité » comme l’écho de ces anges musi­ciens dont par­lait Jean Chrysos­tome dans son traité sur L’incompréhensibilité de Dieu ?), de même qu’aux orig­ines religieuses de sa tra­di­tion famil­iale – une tra­di­tion con­tre laque­lle il a tant lut­té, mais qui, nolens volens, l’aura tant mar­qué… : « S’il m’est per­mis de laiss­er par­ler le musi­cien qui par­fois vibre en moi, je ne puis m’empêcher d’établir un par­al­lèle qui me paraît sin­gulière­ment frap­pant entre le poète Jean-Paul de Dadelsen et le com­pos­i­teur Arthur Honeg­ger. Les deux sont de race alé­manique, de cul­ture et de for­ma­tion français­es, d’éducation protes­tante. Nous trou­vons chez l’un comme chez l’autre une vie intérieure pro­fonde et par­fois mys­térieuse, ils expri­ment leurs pen­sées et sen­ti­ments sans grandil­o­quence et sans super­lat­ifs, avec mesure et même une cer­taine pudeur, en choi­sis­sant avec pru­dence leurs moyens d’expression. N’est-ce pas là un critère essen­tiel du vrai artiste, peut-être même de l’artiste protes­tant en par­ti­c­uli­er ? » (Je recon­nais sans prob­lème que c’est moi, graphique­ment, qui attire l’attention sur la dernière phrase…). Tou­jours est-il que c’est à lire ces lignes que j’ai enfin com­pris pourquoi, si sou­vent, j’ai choisi par le passé de lire du Dadelsen en écoutant en même temps un vinyle de Pacif­ic 231, ou de vieux 78 tours de La danse des morts !

Et si je fais ain­si référence à « l’incompréhensibilité de Dieu (sans m’en être con­sciem­ment ren­du compte sur le moment), com­ment ne pas être pro­fondé­ment d’accord avec cette remar­que de Pfis­ter : «Dans un des poèmes épars de Jonas, Dadelsen pose cette ques­tion : « D ‘où vient en moi cet étire­ment incon­nu, tou­jours plus inap­pris ? / Je sais / Tu fais le vide en moi. / Mais cet espace qu’en moi tu creuses, tou­jours plus vacant, plus sonore, / Pour quel Maître, pour quelle Voix ? » C’est pré­cisé­ment l’image qu’utilise Tauler dans un de ses ser­mons les plus célèbres: « (…) Pour que Dieu entre, il faut néces­saire­ment met­tre la créa­ture dehors. (…) Il faut chas­s­er tout ce qui est en toi, tout ce que tu as reçu (…). L’homme doit donc se laiss­er pren­dre , vider et préparer. »

Et s’il est vrai que Dadelsen, en ces années de jeunesse, sac­ri­fie encore au rythme et à la rime tra­di­tion­nels (« Ô Nature, pourquoi trou­blez-vous mon amour ? /Le soir est douloureux comme un bais­er de femme,  (on dirait presque du Baude­laire !) / Je sens flot­ter dans l’air un par­fum trou­ble et lourd / Des sou­venirs amers remon­tent à fleur d’âme… », il n’en reste pas moins que nous sommes ici intro­duits aux prémiss­es de ce qui devien­dra l’une des plus grandes œuvres poé­tiques du siè­cle passé, et que nous pou­vons apercevoir, in statu nascen­di, tous les thèmes qui irrigueront ensuite des textes si singuliers.

Je n’ignore pas que ce recueil est paru voici déjà quelques mois… Mais il faut le temps de s’en « imbiber ». Et je ne peux souhaiter de meilleure aven­ture à quelqu’un que de le décou­vrir à son tour !

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