On con­nais­sait déjà bien de Jean Arp ses sculp­tures et ses pein­tures, qui l’avaient imposé comme l’un des « lead­ers » de l’abstraction mod­erne. On savait pour­tant beau­coup moins qu’il avait été aus­si poète, et qu’il avait pon­du nom­bre de textes où l’on ressent tou­jours plus ou moins l’influence dadaïste – à laque­lle, on  se le rap­pelle peut-être, il avait large­ment suc­com­bé, au moins pour un temps.

Lorsqu’il invente par exem­ple la langue firgel, n’est-ce pas dans cette coulée qu’il se situe ?

 

     « La belle langue firgel
    c’est s’attarder rêver
    penser et fan­tas­mer… »

 

Nous ne sommes pas très loin ici du Tzara de la grande époque…

Sauf que Arp ne peut pas se con­tenter de ces sim­ples « jeux ». Il lui faut « dire » (fût-ce, sou­vent, avec les mots les plus sim­ples – par où il rejoint secrète­ment beau­coup de ses com­po­si­tions « abstraites ») :

 

     « Qu’est-ce qui te rend si dés­espéré­ment triste ?
     Est-ce la bouche béante et muette du cauchemar ?
     Est-ce le tuteur qui dévore le pupille ?
     Est la bouche qui ren­tre vide et affamée ?
    Est-ce qu’il ne s’agit pas d’une bouche mais d’une gueule ?
     Est-ce la gueule qui dévore mille et mille bouch­es ?… »

 

En atten­dant ces ques­tions aus­si bien mar­quées d’un tran­quille dés­espoir que d’une intense révolte :

 

     « un pau­vre homme aimerait s’échapper
     de la mai­son de fous qu’est la terre.
     Il ne sait com­ment faire
     et de plus il meurt de faim.
     non il ne pos­sède plus rien
     de vis­i­ble ou d’invisible… »

 

Toutes phras­es que sauve cette sub­tile ironie devant toutes les « doc­trines » spir­ituelles ou métaphysiques :

 

     « il avait certes réussi
     emprun­tant la porte dérobée
     de la métempsychose
     à prendre
     la forme d’un chameau.
     on ne la lais­sa pas pour autant
     entr­er dans le roy­aume des cieux
    par le chas d’une aigu­ille… »

 

Finale­ment, la 4° de cou­ver­ture le rap­pelle, « son mot d’ordre pour la sculp­ture s’applique tout aus­si bien à la poésie : La sculp­ture doit marcher sur la pointe des pieds, sans faste ni pré­ten­tion, légère comme la trace d’une bête dans la neige. »

De quoi nous inspir­er aujourd’hui, et nous oblig­er à nous sou­venir de ce que, con­traire­ment à ce qu’avait trop sou­vent cru le pseu­do- roman­tisme français, la poésie n’est pas une affaire de décla­ma­tion – mais au con­traire, comme on tra­vaille la matière, de coups de ciseaux, de nudité, de « mes­sage » réduit à ce qui nous appa­raît comme l’essentiel.

 

image_pdfimage_print