PAYSAGE PASSAGER

 

Il faut pou­voir partir
et mal­gré ça être comme un arbre :
comme si la racine restait dans le sol,
comme si le paysage pas­sait et que nous demeu­ri­ons fermes.
Il faut retenir la respiration
jusqu’à ce que le vent se relâche
et l’air incon­nu com­mence à nous envelopper,
jusqu’à ce que le jeu d’ombre et de lumière,
du vert et du bleu,
nous enseigne les vieux dessins
et soyons chez nous
où que ce soit
et puis­sions nous asseoir et nous appuyer
comme sur la tombe
de notre mère.

COURSE MACABRE

 

Tu par­lais de brûler les bateaux
– les miens sont en cendre –,
tu rêvais de lever les ancres
– déjà j’étais en pleine mer –,
de patrie sur la Nou­velle Terre
– déjà j’étais enterrée
en terre étrangère,
et un arbre avec un nom bizarre,
un arbre comme tous les arbres,
a gran­di en moi
comme de tous les morts,
n’importe où.


CUILLÈRE DANGEREUSE

 

Tu manges le souvenir
avec la cuil­lère de l’oubli.

C’est une mau­vaise cuil­lère, celle avec laque­lle tu manges,
une cuil­lère qui con­sume nour­ri­t­ure et convive.

Jusqu’à ce qu’une écuelle d’ombre
te reste
dans une main d’ombre.


AVERTISSEMENT

 

Si les petites rues blanches
au sud
là où tu as marché
s’ouvrent à toi comme des bourgeons
pleins de soleil
et t’invitent.

Si le monde
fraîche­ment écorché
t’appelle à sor­tir de la maison
t’envoyant une licorne
sellée
à la porte.

Alors tu dois t’agenouiller comme un enfant
au pied du lit
et deman­der l’humilité.
Si tout t’invite,
c’est que le moment est venu
où tout t’abandonne.


AVEC UN SI LÉGER BAGAGE

 

Ne prends pas l’habitude.
Tu n’as pas le droit de t’habituer.
Une rose est une rose.
Mais un foyer
n’est pas un foyer.

Rejette le petit chien chose
qui te remue la queue
dans les vitrines.
Il se trompe. Tu
n’as pas l’odeur du sédentaire.

Une cuil­lère vaut mieux que deux.
Attache-la-toi autour du cou,
tu as le droit d’en avoir une
puisqu’avec la main
il est trop dif­fi­cile de puis­er du chaud.

Le sucre te coulerait entre les doigts
comme la consolation,
comme le désir,
le jour
où il sera tien.

Tu as le droit à une cuillère,
une rose,
peut-être un cœur
et, peut-être,
une tombe.


DANS LA GROTTE DE POLYPHÈME

 

L’aveugle géant essaie encore de me palper.
Sa main compte les brebis.

Par­tir à nouveau
sous le ven­tre du mouton.
Encore une fois
sous la main qui compte.

Ceux qui partent
aban­don­nent tout
ceux qui partent
sous la main qui compte.

Ceux qui fuient
le géant
n’emportent rien
sauf la fuite.

Tra­duc­tion : Stéphane Chaumet
 

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