chants des mémoires

 

dans la traversée
sous des mil­lions d’ondées
vent de silhouettes
près de la côte lasse vont
sil­lon­ner les champs de canne
silen­cieux le jour par­leurs la nuit
tanguent sur le bateau à l’horizon

ondées nuitées
où jours silen­cieux déchirés
la voie du milieu fut est

des corps oublient
les plaies char­ri­ent par
des mil­lions d’embaumés sur l’atlantique
des huilés tanguent vers les champs-plaies

les nuits la bise marine
corps âmes langues exilés
du proche lointain
pen­du au petit matin
béance ajournée

la brume couvre
les déportés transplantés
après le retrait d’histoire gommée
sur le bateau vais­seau fantôme
déterre les chants oints
du petit matin sous le souffle
la berge approche le silence

là nus entiers dire
sans nom la fin de la traversée
tré­pas vivant dans la mine
calfeu­trée éper­due de victoire
tumé­fiée par les ven­tres marins

 

 


chant 1 : hier présent

 

hier dans le néant du temps assise
sur le bord de la route
déroute dans la mémoire du temps
abi­ogra­phie con­quise et
le rêve poin­ta elle le porta

hier en début de soirée
chaude clau­di­cante sous l’ébriété
à l’heure insou­ciante des petits
douch­es joyeuses soupers câlins
embras­sades goûteuses
som­brent en chemin jusqu’au lendemain

hier chaque activ­ité inscriv­it son temps de
latence logique dialogique des cartables
gommes mots rédigés pour la maîtresse
du lende­main répliques douces aimantes

hier ébauche de la semaine à venir
temps du voisi­nage qui ren­tre les chaises
jouit jusqu’à la dernière par­celle d’une trêve
encore ajournée

hier les soirs d´été trop­i­caux lorgnent
sous les arbres des soudaines envies de
par­tir vers des fenêtres ouvertes qui suggèrent
l’insoupçonnable fraîcheur

hier à l’extérieur le père langoureux
ren­tre les chais­es scru­ta­tri­ces événements
la bise n’annonce rien et le temps passe

hier d’un coup rythmes en suspens
des pas réson­nent dans la rue
s’engouffrent dans la fraîcheur retenue
de la mai­son muselée par le silence

 

 


chant 2: maintenant

 

main­tenant un coup de vent tressaille
sous le ciment du temps en douceur
le doute germe sur la con­fi­ance ébranlée
de mil­liers de sec­on­des avant la rupture
du voile lâché sur ces allées venues pour la
pre­mière fois dans un temps oublié

main­tenant sans caté­gorie con­nue sa respiration
va vient calme le som­meil pen­dant que deux
jeunes corps som­meil­lent à ses côtés ses yeux
ouverts accueil­lent l’étrangeté
des prénoms lui revi­en­nent en mémoire
Mné­mosyne accom­plit son office d’où
main­tenant les cap­i­tales d’eaux cèdent à
son être inau­gure cette autre
ère sans qual­i­fi­catif ni épithète
sans moi ni toi sans eux tout est éphémère
tout rythme racon­te une configuration
d’autres quo­ti­di­ens désagrégés inexorablement
par d’autres choses aus­si sûres que le jour
ray­on­nent dans la nuit et la nuit dans le jour

main­tenant des jours aupar­a­vant aucun mot
pour la nom­i­na­tion perd la conscience
irré­ductible pour la nar­ra­tion immatérialité
suf­fo­quée sous la mémoire imposée
Mné­mosyne découd les fils de
son organ­i­sa­tion décou­vre les images des
per­son­nages fétich­es du temps autre que le
néant délaisse sa biogra­phie rejette
la médi­a­tion sup­porte le secret de l’autre
point de vue oura­gan présent le soir de
la dis­pari­tion à fleur de peau quelque temps
aupar­a­vant une poussée d’urticaire
fige l’absence dans la direc­tion où elle
dés­ap­prend les saisons du temps

 

 


chant 3: voix des langues

 

des années plus tard février
des années plus tard il fait froid ici
la pluie tombe ciel gris man­teaux fermés
ver­rouil­lés bon­nets gants bottes aux semelles
en peau de mou­ton et tra­ver­sée du campus
uni­ver­si­taire sous les gouttes gelées
le vent souf­fle sur le som­met du temps
silence entre­coupé par le bruit du vent

des années plus tard la buée sur les vitres
le bus démarre une autre journée grise pointe
à la fenêtre le regard posé dehors
sur la chaussée mouil­lée arrêts réguliers
devant le por­tail de l’école les sœurs s’en vont
cha­cune dans sa classe réciter la chanson
dans la langue effilochée du pays d’ici
des années plus tard ven­dre­di bière brune
à la can­tine en fin de journée le ciel pleure
tou­jours sur le pays inondé de brumes et
d’éclaircies gris­es et le bus ren­tre sur la chaussée
mouil­lée et les chips salés au papri­ka craquent
sous les dents le bus arrive enfin enfumé par
d’autres haleines pris­es sur la route au retour une
fron­tière lin­guis­tique tres­saille par­mi la ligne
non dess­inée dans la forêt
le signe et le code changent sûrement

des années plus tard les fron­tières coupent
dans des forêts l’absence des policiers identifiés
dans le pays d’avant au-delà de l’océan
toute fron­tière a ses policiers qui exi­gent des papiers

des années plus tard elle rédi­ge des phrases
dans cette langue apprise à l´école
son jour­nal colle au dic­tio­n­naire des âmes
effarouche son plaisir la dic­tion suit son chemin

 

 

chant 4: mémoires une au pluriel

 

mémoires du réc­it de la soirée
bruits doux feu­trés pas de loup-garou
assour­dis par la ronde des voitures
silen­cieuses à l’extérieur
puis
des pas encore
irréguliers inscrits dans une cadence
en ce début de soirée la rue s’endort dans
le calme léger et
l’heure insou­ciante des petits
l’heure des douch­es joyeuses
l’heure des soupers bien chauds
l’heure des comptines merveilleuses
l’heure des câlins doux-doux
dernier plon­geon dans le som­meil provisoire
de la nuit où les familles s’affairent aux
derniers pré­parat­ifs de la soirée au cours de
chaque activ­ité qui voy­age dans son temps
de latence posé­ment le voisi­nage rentre
les chais­es jouit des par­celles de douceur
qui éclairent les soirs d´été dans cette région
des tropiques aux fenêtres grandes ouvertes
le vent s’engouffre à l’intérieur traces jetées
sur le lit les champs le par­quet ciré odeurs
d’abeilles voltigeant le soir dans la maison
ensoleil­lée la nuit sous des tronçons de calme

 

 

 


chant 5: voix de l’écriture rythmée

 

écri­t­ures ryth­mées dans la bibliothèque
où elle s’assoupit dans l’atmosphère
feu­trée du pre­mier étage l’asile de fous
trans­for­mé en cen­tre cul­turel depuis des
décen­nies son texte immerge par bouffées
frag­ments éden­tés sur­gis de son néant
d’où elle glisse dans les abîmes de sens ses yeux
exténues expri­ment la ten­sion des doigts
impos­si­bles de soutir­er autre chose que l’énergie
molle du tra­vail plus elle avance plus cette
mol­lesse l’envahit elle dis­cerne des let­tres au
frémisse­ment évanoui et la rédac­tion des chapitres
tra­verse sa pre­mière nuit où elle atteint la rive
puisée au fond de l’écriture qui la sort du brouillard
per­du de sens comme au soir de sa fragmentation
dans l’espace en menus morceaux qui par­tent des
lan­gages créés par elle dans des réflex­es éveil­lés par la
vie où elle puise les his­toires con­nues d’elle seule sa
biogra­phie implose dans la bib­lio­thèque désagrégée
par l’écriture inven­tée dans ses écrits qui la basculent
tou­jours dans le rien et le tout de son corps qui lui dicte
de pour­suiv­re sa tâche exténuée elle saisit l’écriture pour
fer­mer la porte ouverte ce soir-là ce soir lointain
depuis elle met en veille le plus tard
depuis elle éclabousse ce qu’elle entreprend
elle doute du plus tard du plus tôt ne doute pas
du main­tenant depuis que les instants se muent en
des main­tenant où elle vit sans passé ni futur
son quo­ti­di­en affer­mit l’écriture du aujourd’hui
qui emplit sa vie au cours d’après-midi d´écriture
depuis ce soir-là elle ne juge pas les den­rées d’ordres
à suiv­re organ­i­sa­tion pour la pre­mière fois elle voit en
aveu­gle les yeux grands ouverts instal­lés dans sa recherche
du temps qui cer­ti­fie sa vision lan­gag­ière héritée
de cette soirée cassée qu’elle ne juge pas qu’elle ne juge plus
la douleur éclate au rythme de son écri­t­ure illu­minée par
les murs en pierre lors des paus­es ponc­tuées par le mistral
et elle se prélasse au soleil et les ondées de sa pen­sée coulent
sur elle comme le plâtre sur le mod­èle dans le temps décanté
annon­ci­a­teur du dit qu’accompagne le néant dans le temps
d’avant temps de matu­rité temps de langues

 

 

 


chant 6: voix des allers-retours

 

la clarté de la lune se lève dans des habits
blancs et la lune éter­nue sur le passé d’antan
dans la mélopée tant de voix tant de haines s’aplanissent
dans le main­tenant sans plus de peine le je se tait
pour dire oui au seuil de cette porte lointaine
devenir brusqué sur des main­tenant éter­nels que
le je pose comme le messie de ses voyages-abandons
dans tant d’allers-retours temps retords qui transmue
le jeu au on et au nous dans la poé­tique de la langue
elle com­pose nœuds sonorités réelles pour dépeindre
le som­meil tis­sé de fruits absur­des doux et âpres
dans sa bouche qui ne sour­cille pas en présence du
son nous qui épouse le je dans l’antre de l’autre feu
retrou­vé dans des sonorités des mul­ti­ples langues
d’enfance une langue mul­ti­ple les langues des parents
grands-par­ents portées par la tribu au loin derrière
l’atlantique pro­longées dans des langues d’autres
tribus autres ral­liées en Europe le temps des
épou­sailles com­mence au-delà du cer­cle de craie
au-delà des nations et nation­al­ismes son je construit
sa patrie sur des sonorités rythmes vidées à plein
sens qui apos­tro­phent le monde dans des langues
étrangères en sur­face d’où le bruisse­ment fleu­rit et
les dis­tances super­fi­cielles cèdent la place à l’autre
mul­ti­ple dans des his­toires plurielles revendiquées
haut la main en tenaille et le cor caché par des
san­dales étroites libéré les mailles des langues vides
et pleines à jamais à l’endroit con­venu et même le
corset des bancs n’empêche la langue d’aller des
sen­tiers diverse­ment mul­ti­ples vivre sa vie tandis
que les couleurs du nation­al­isme se trans­muent en
peaux de cha­grin au charme encore d’actualité

 

 

 

image_pdfimage_print