Avec son dernier recueil paru chez Eres (col­lec­tion Po&psy in exten­so), Jacques Ancet réu­nit trois ensem­bles de pros­es poé­tiques et poèmes : « Les travaux de l’in­fime », « Por­traits sans vis­ages » et « Pour ne pas finir ». Plus que jamais, il jette en avant « les petits cail­loux de la parole » pour ouvrir un chemin, cherche à cristallis­er les vibra­tions d’un monde plein d’évanescences sur les petits riens et l’infime …

Comme sou­vent, Jacques Ancet dans ses poèmes pose quelques objets usuels dans un espace don­né, pièce ou paysage, et y trame bien­tôt, avec ses mots, ce « léger vide au bord duquel vac­ille le vis­i­ble ». Nous voilà donc à nou­veau dans l’entre-deux du jour, « au bord de vivre — au bord de mourir » : entrés dans l’impossible ici, l’insaisissable présent. Con­fron­tés à « la sur­face plane des choses arrêtées dans leur nom », et pressen­tant pour­tant les vibra­tions de l’imperceptible.  Le sens est partout et nulle part, et ne demande qu’à se cristallis­er sur l’infime. D’où les « travaux » qui font œuvre et qui font monde. A par­tir du pul­lule­ment des « petits riens », d’un vide trop plein, d’une carafe d’’eau sur une table, de la neige si peu vraie, du « grig­note­ment de la pluie », d’une lampe, des craque­ments du bois…

« Por­traits sans visages »

Ce qui est vrai des choses l’est aus­si des vivants et les êtres sont aus­si peu sai­siss­ables que les objets par leurs traits ou leurs noms. D’où les « por­traits sans vis­ages » qui com­posent une par­tie de ce recueil avec la reprise, entre autres de « Por­trait d’une ombre ». Le mot ombre est là « pour don­ner une forme à ce qui n’en a pas », com­pagnon obscur de qui écrit, l’inconnu en soi, la « voix silen­cieuse ». Parce que la coïn­ci­dence avec soi n’est pas plus don­née que l’adéquation du monde et de la parole. « Il ne s’agit pas d’identité. Ou alors de cette iden­tité obscure qui est une autre manière de dire qu’on ne sait rien. Qu’on est entre : entre ici et ailleurs, entre hier et demain, entre tout et rien. Entre, tou­jours, entre. »

« On ne voit que ce qu’on sait », nous dit Jacques Ancet. Le reste est là, pour­tant, qui affleure. Mais il y faut le lan­gage pour débus­quer, faire naître les évi­dences, émerg­er l’univers alen­tour, tout « ce qu’on pour­rait voir à force d’insister ». Or insis­ter, c’est jeter devant soi « les petits cail­loux de la parole » pour ouvrir un chemin. Or insis­ter, c’est écrire….

Jacques Ancet le fait superbe­ment, empris­on­nant du sens et des éclats de temps, de quo­ti­di­en, du mys­tère de la présence et du ver­tige de l’immanence, en tis­sant une prose poé­tique dense et légère pour­tant, qui s’interroge, se répond, évoque, esquisse, creuse comme elle use de l’ellipse, et finale­ment nous emmène dans ce vide rayé de signes de main, comme autant de clins d’œil aux êtres de parole.

« Il roulait son silence devant lui, sa boule de lan­gage où se mêlent plisse­ments her­cyniens, décharges, cré­pus­cules, douleur et cet imper­cep­ti­ble où il posait l’oreille ». Il me sem­ble que Jacques Ancet a ce vis­age de qui per­siste et signe. Insiste pour être là, plus pleine­ment, puisqu’aussi bien, « l’écriture con­tin­ue l’amour ».

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