Le nom du baron Jacques d’Adelswärd-Fersen reste dans cer­taines mémoires comme lié à l’affaire dite des « mess­es noires », scan­dale qui sec­oua la chronique à la fin du 19e siè­cle. L’homme organ­i­sait des fêtes poé­tiques à l’antique, dans son apparte­ment, durant lesquelles de jeunes hommes et des enfants défi­laient en cos­tumes grecs, aux sons des vers du poète et de ses amis. On l’accusa d’organiser plutôt des orgies et l’affaire con­duisit à un procès. Fersen a été con­damné à une peine de six mois de prison.

Né en 1880 et mort en 1923, poète et dandy, con­sid­éré comme l’un des pre­miers écrivains homo­sex­uels engagés en faveur de la « cause », pour laque­lle il a fondé la pre­mière revue homo­sex­uelle, Fersen s’est vu con­sacr­er un livre par Roger Peyr­e­fitte, sous le titre de L’exilé de Capri. L’écrivain con­naît tou­jours aujourd’hui un beau suc­cès de librairie, du côté des col­lec­tion­neurs : les édi­tions orig­i­nales ou anci­ennes de ses livres sont fort demandées. Il est une icône des milieux cul­turels et artis­tiques gays. Fersen fut un activiste, au moment où nais­sait la prémisse d’un état d’esprit com­bat­tant et reven­di­catif dans les milieux homo­sex­uels français et européens. C’est ce trait qui explique la présence tou­jours impor­tante du dandy dans la cul­ture gay, plutôt que la qual­ité de sa poésie, mar­quée par l’époque et le militantisme :

 

Ô beauté ! Com­ment donc m’as-tu fait ton esclave ?
Par quelle aube d’amour, par quel soir, par quels sorts
Ai-je été lanc­iné d’une émo­tion grave,
Et con­damné, depuis, à souf­frir de l’entrave
D’un beau vis­age ou d’un beau corps ? 

 

L’intérêt de cette pub­li­ca­tion réside dans l’exploration en cours, sous l’égide de Patrick Car­don et de sa col­lec­tion, des orig­ines his­toriques du com­bat homo­sex­uel, dans les milieux lit­téraires, et des débuts de la pen­sée française autour de la ques­tion de genre. Le néo­phyte appren­dra beau­coup en ce domaine en lisant ces pages, tant sur Fersen que sur l’ambiance de l’époque. Ain­si, la sec­onde par­tie du vol­ume con­tient un impor­tant dossier con­sacré à la revue Akademos, fondée par Fersen en 1909. C’est la pre­mière revue homo­sex­uelle de langue française. Au cours de sa seule année d’existence, Akademos pub­lia des écrivains comme Colette, Ana­tole France, Marinet­ti ou Péladan. Elle posait ouverte­ment la ques­tion de la dis­crim­i­na­tion de ce que l’on nom­mait encore à l’époque « pédérastie ». Le dossier con­duit ici par Mirande Lucien est d’un grand intérêt, don­nant un choix des textes et poèmes impor­tants pub­liés là. 

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