Comme un voyageur qui se retourne un peu avant de rejoin­dre son point d’arrivée, le poète réca­pit­ule en ce recueil quelques étapes, refor­mule ses doutes, ses décourage­ments, ses espoirs, dans la lumière sere­ine de l’approche du port. Au cours de l’aventure se sont présen­tés des dan­gers, telle cette « bar­que livrée à sa flamme », et les ques­tions affleurent, reflet d’une décep­tion et angoisse d’un échec : « Pourquoi ai-je marché sans rien voir ? » (p. 45), « Que retenir après si long voy­age ? » (p. 69), « Qui peut nier tous ces naufrages ? » (p. 74). Il faut ain­si lut­ter con­tre la ten­ta­tion du renon­ce­ment, comme l’évoque le beau dia­logue intérieur du poème « Ne renonce pas » (p. 74). Car la douleur, tou­jours évo­quée avec retenue, aura été voie d’accès à la joie, ce qui per­met de clore le recueil par ce désir :

 

dire enfin com­bi­en sont légers
ces derniers pas sur le chemin
(p. 123)

 

Au cours de sa route, il aura pour­tant croisé des pré­fig­u­ra­tions de cet apaise­ment final, les arbres, les oiseaux, les irrup­tions soudaines de lumières. Sur le plan matériel, les feux nomades, qui vien­nent guider et éclair­er la lec­ture, sont les encres de Chine de Renaud Alli­rand, lesquelles scan­dent le recueil, for­mant des par­ties sans titres. Leurs jeux de clair-obscur évo­quent cet hori­zon lumineux qui finit par envelop­per le poète. C’est donc comme s’il fal­lait tra­vers­er ces épreuves pour mieux renaître, puri­fié et allégé :

 

Réveil tardif
comme au ray­on de lumière tombée

sur sa joue
la joie d’un enfant qui accueille le jour

Rien n’est jamais perdu 
si – de l’arbre mort – jaillit
un sur­geon nou­veau (p. 45)

 

Par­fois cav­a­lier, d’autres fois marcheur, sou­vent marin, le poète relate ain­si une expéri­ence, qui engage le corps, soumis à la fatigue ou à la soif, et qui est bien enten­du égale­ment expéri­ence intérieure, laque­lle aboutit non pas à l’amer savoir de Baude­laire, mais à la décou­verte de l’inespéré :

 

Pèlerin sans croyance
sans but avoué

j’ai arraché aux pierres 
le secret des prières (p. 76)

 

Les feux nomades du titre du recueil pour­raient donc égale­ment s’assimiler à l’ardeur du voyageur une fois qu’il s’est mis en route. Ce dernier est ten­du vers un but qui lui demeure mys­térieux et sur lequel il s’interroge. Lorsque ces pourquoi trou­vent une réponse, celle-ci réside non dans quelque rai­son méta­physique, mais dans un appel venu du monde sen­si­ble : « marcher parce que c’est l’aube » (p. 118).

La poésie de Jacques Robi­net ne repose pas sur la recherche des images, mais sur un appro­fondisse­ment du lan­gage lyrique, en par­ti­c­uli­er par un sub­til tra­vail de vari­a­tion sur des motifs (mou­ve­ment, lumière, attente, silence, ren­con­tre) aux valeurs sym­bol­iques pro­fondé­ment enrac­inées dans la mémoire col­lec­tive. Loin de n’être qu’un solil­oque, le poème ouvre un espace d’adresse. Si la deux­ième per­son­ne indique par­fois une apos­tro­phe du poète à lui-même, elle peut aus­si désign­er un des­ti­nataire, indis­pens­able au poète, et qui le fait exis­ter comme tel. C’est bien cet autre, quoiqu’inconnu, qui ori­ente la marche du voyageur :

 

J’allais vers toi
sans rien savoir de toi
(p. 121)

 

Bien des poèmes devi­en­nent le lieu d’une ren­con­tre avec ce « tu », être aimé, assuré­ment, mais dont l’identité n’est jamais fixée et en laque­lle chaque lecteur pour­ra pro­jeter son désir d’altérité.

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