Je vous écris de mes loin­tains, titre Jean-Pierre Boulic. Tout poète con­séquent, à un moment don­né de sa vie et de son écri­t­ure, sauf s’il est un de ces « poètes du dimanche » que cro­quait avec  ten­dresse René-Guy Cadou ou un de ceux qui met­tent «  poète » der­rière leur nom dans l’annuaire des télé­phones comme le rail­lait avec cru­auté Aragon, est « obligé » de s’interroger sur les caus­es et les final­ités de son écri­t­ure. C’est ce que fait Boulic, au bout de plus d’une dizaine de recueils, en authen­tique  donc con­séquent  poète qu’il est .

« J’écris. Mon lan­gage frémit jusqu’aux entrailles. J’écris la vie du verbe. J’écris ma con­tem­pla­tion  de l’être, une expli­ca­tion de ma rela­tion au monde, sim­ple­ment la ren­con­tre de l’être ensem­ble » dit-il. Il aurait pu dire «  j’écris le verbe de la vie », car, à ce niveau-là de l’écriture, vivre et écrire, écrire et vivre sont une même chose. Boulic, de ses loin­tains, écrit au plus près de ce qu’il est ou de la con­science qu’il a d’être, l’écart entre ce qu’il est et la con­science qu’il en a étant, juste­ment,  le lieu de l’écriture, l’espace, la béance.  « Écrire la voix de l’âme néces­site d’aller vers le silence, son silence, dans l’expérience du mur­mure de la source intérieure, par-delà les dif­fi­cultés de l’existence ». C’est vous dire si l’ambition de Boulic est grande, cher­chant à reli­er, à tra­vers ses textes, ce qu’il est au plus pro­fond de lui à ce qui donne sens à l’existence. Il l’annonce, d’ailleurs, dès l’ouverture  de ce recueil de cinquante courts textes : «  J’en appelle à l’encre du ciel, au sang des étoiles…sur cette terre où tout n’existe que par le lan­gage et l’expérience d’un cœur à cœur ». Poésie empreinte de spir­i­tu­al­ité donc, mais quelle poésie authen­tique n’en est-elle pas empreinte ? «  L’exercice du poème se borne à traduire sans con­fu­sion une parole juste : celle qui se veut reflet des paysages intérieurs où sédi­mente l’expérience de l’homme au sein du cos­mos  ».  Cet exer­ci­ce, ambitieux s’il en est, pour­rait, s’il n’était maîtrisé, nous entrain­er vers une poésie méta­physique à l’expression grandil­o­quente. Pour notre bon­heur, c’est tout l’inverse. Ce retour à l’essentiel est fait par la con­tem­pla­tion de la réal­ité dans ce qu’elle a de plus sim­ple, de plus quo­ti­di­en.  Il l’énonce d’ailleurs : « Con­tem­pler et vivre la réal­ité de la vie. Vivre, c’est voir que l’instant présent est réel ». C’est à une con­ver­sion du regard que nous invite Jean-Pierre Boulic, un réap­pren­tis­sage pour mieux voir. Boulic est un Cadou qui aurait lu Theil­hard de Chardin, un mys­tique donc. Mais il cul­tive son mys­ti­cisme comme on imag­ine que cer­tains moines entre­ti­en­nent un «  jardin de sim­ples », dans l’effluve de quelques herbes médic­i­nales.  «  Voici que le plus sim­ple d’entre nous s’émerveille d’avoir à  tenir entre  les mains un bou­quet de jon­quilles » a écrit quelque part Cadou. Voici que Boulic,  le plus sim­ple d’entre nous,  s’émerveille en même temps qu’il nous émer­veille car «  Quand la parole répand son souf­fle éton­né, lev­ant les yeux sur toutes choses,  sur­git en vérité le temps de la poésie ». Si le ques­tion­nement et l’étonnement sont la source de la philoso­phie, l’émerveillement est bien, lui, la source de toute poésie. Oui, « Il faut pren­dre la poésie au sérieux. Le poème n’est pas un prisme. La poésie ne déforme pas la réal­ité. La poésie est ». Jean-Pierre Boulic nous invite,  avec humil­ité, à ce sal­va­teur retour aux sources.

 

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