Gua­na­hani. Mot mag­ique. Sésame ouvrant les ter­res d’une langue non dénaturée. C’est le titre choisi par Jean-Claude Tardif en son dernier livre paru aux édi­tions Clarisse. Gua­na­hani, nom indigène de San Sal­vador quand Colomb y posa les pieds. Nom emblé­ma­tique du nou­veau monde, nous entrons, par l’en­trem­ise du poète, vers un pays pre­mier renou­ve­lant la langue d’ici-bas.

 

“Je t’aime”
           tout est dit.

Pour­tant… se méfier
des lâchetés du son   de ses homophonies

Terre incon­nue
           tes reins connus
                       ter­rain con­nu inter­dit à l’amour nomade
Or donc se défi­er de ces voix qui par­courent nos bouches
gob­er du blanc   à tout pro­pos   join­dre ses lèvres à…

son corps à l’in­fi­ni d’un autre corps in fine
petit cos­mos où l’on rêve d’é­toiles qui se rêvent escarbilles…

 

La terre anci­enne bruit sous cha­cune des phras­es que nous util­isons. Mal­gré nous, les mots mentent et révè­lent des portées incon­scientes. Le devoir du poète est d’y voir clair, d’y débus­quer la poly­phonie cachée ouvreuse d’une nou­velle pos­si­bil­ité de vivre et d’habiter le corps d’hu­man­ité. Langue des oiseaux con­ju­rant les ciels bas pour y trou­ver des aperçus d’azur.

“… Il faut bâtir le jour/ ou plutôt le construire”.

Ce nou­veau monde, qui est en réal­ité un monde archaïque neuf aux yeux de ses jeunes décou­vreurs, a renou­velé la terre par la guerre. Il aurait pu le renou­vel­er par la paix. Chez Tardif, ce monde passe par le corps féminin, le corps à corps menant au corps d’hu­man­ité où les métaux lourds brû­lent pour qu’au sor­tir du foy­er de l’homme s’élève quelqu’ar­bre mirac­uleux vers les zéniths bleus.

 

Vigies pour la mon­tée de l’éclaircie,
son devenir de corps de femme
face aux dieux

                       Aulne après aulne
dégrafer la mouvance
jusqu’au galbe
la fontaine de forge des lèvres

 

Dans l’en­fer­me­ment de la moder­nité, il faut au poète “pour preuve, son cri,/le chant d’une fenêtre ouverte”.

De petits point d’a­choppe­ment col­orent le vis­age aux yeux noirs : ici des ros­es, là un cerisi­er de cam­pagne, le rouge-gorge d’un oiseau. Et le feu. Le feu solaire embras­ant le plomb à l’in­térieur du corps, y tein­tant l’iris d’une couleur de méta­mor­phose. La langue renaît, débar­rassée des scories du passé.

Alors les images pren­nent vie et s’en­v­o­lent, décrivant des cer­cles bien­faisants en sus­pen­sion dans l’air ense­mencé. “L’é­lytre bleue de quelque libel­lule” enri­chit l’hori­zon. La “tâche d’éosine/dans l’an­gle défunt du soleil” affirme l’ac­com­plisse­ment phœnix du mou­ve­ment en ces ter­res du dedans tis­sées de silence.

Gua­na­hani.
Poème.
Fenêtre dans le mur de l’impasse.

 

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