Le recueil com­mence par un poème qui avance comme un upper­cut, Visée du poème :

 

Inguériss­able blessure de l’être
s’entassent les jours de passage
aux éclairs à peine entrevus
déjà dis­tan­ciés en désordre
seules quelques lueurs palpitent
dans la clig­no­tante conscience
de cette irréversible traversée

Ain­si le maître du navire
en cab­ine de pilotage
veille à pour­suiv­re l’avancée
quand les défer­lantes submergent
par inter­mit­tence le gaillard
prélude au pos­si­ble naufrage
au moins sait-il tenir le cap

Vivre seule­ment vivre et dire
à fleur de lumière et le ciel
les mots en sac­cades respirent
d’un rythme sen­si­ble à l’écoute
de l’informulable exigence
sans ordon­nance ni consigne
pour accueil­lir l’instant présent

 

Presque un man­i­feste en sa façon de ponctuer la parole prononcée :
« l’instant présent »,
ou l’essence même de l’être en poésie.

Vient ensuite l’évocation du drame/fêlure ter­ri­fi­ante de l’humanité, le faire de l’humanité à tra­vers la folie d’une poignée d’hommes mar­tyrisant tout l’Homme au tra­vers de cer­tains hommes :

 

Un regard venu de très loin
là-bas où s’arrêtent les rails
brouil­lard de con­vois sans retour

 

Le poème porte un titre en allemand.
Le livre con­naît des rup­tures en prose, rup­tures dans le par­cours de l’humain. Rup­tures de la bar­barie. Qu’est dev­enue la prose en ce monde ? À quoi col­la­bore-t-elle dans le silence/déni général ? L’acceptation globalisée.
La rup­ture en prose dit l’expiration sac­cadée de l’état de l’Homme dans lequel nous sommes :

« Pour­tant les con­duites d’évitement ne pour­ront que retarder l’instant de vérité de l’affrontement per­son­nel, dans un corps à corps douloureux ou exal­tant avec le réel. »

Niet­zsche est sou­vent présent en référence. Son ombre passe dans les mots de cette phrase de Xuereb.
Puis l’interrogation à la fois fon­da­men­tale et fon­da­trice, la ques­tion entre­vue au fron­ton de l’enfance, celle qui donne nais­sance à l’être écrivant en poésie, s’engageant dans la rela­tion avec le Poème :

 

Ô toi corps fléché de questions
que cherch­es-tu que cherches-tu ?
qui peut pré­ten­dre dévoil­er l’énigme
des temps et fins de l’univers ?

 

La ques­tion n’est pas anodine parole, elle est le chem­ine­ment. Et en chemin revient aus­si ce qui taraude, le risque du « renon­ce­ment ». On pense à l’extraordinaire poème de Dau­mal, poème dont on ne mesure pas encore toute la portée métapoli­tique et méta­physique : « La Guerre Sainte ».
Là, sur­git le voyageur :

 

Ascèse vers l’invisible

Voyageur immo­bile autour de l’écritoire
j’entrevois un sage – sil­hou­ette voûtée –
en marche pas à pas vers son aire sacrée
il sait qu’il s’effondrera avant de l’atteindre
pour­tant il con­tin­ue de pouss­er son corps
entre appel du gouf­fre et cogne­ment des artères

Il rêve du com­pagnon­nage d’un disciple
sur l’épaule duquel il pour­rait s’appuyer
aux moin­dres défail­lances du cœur ou des muscles
qui saurait lire la gra­phie des chemins
et décrypter la con­nivence des étoiles

Mais il va seul vers une improb­a­ble rencontre
ses forces s’épuisent sa vue baisse il ne sait
qui il est qui l’attend le sur­veille invisible
lui adresse des signes qu’il ne voit pas
dans la soli­tude qui précède la mort

Sur sa dépouille vont s’acharner les rapaces

 

La ques­tion s’ébat tout le long de l’échelle et porte voix depuis l’intérieur même du réel voilé, ce que nous nom­mions autre­fois – quand la réal­ité ne nous effrayait pas – le sacré. C’était avant notre retour dans les grottes, cav­ités préhis­toriques de la moder­nité, les grottes du virtuel. Et pour­tant, haut, bas ; dedans, dehors. Revoici l’Homme. Ce sera dans la terre juste­ment, dans l’espérance de l’air, de l’eau et finale­ment du feu.

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