Les poèmes de Jean-Jacques Marim­bert racon­tent des his­toires. D’une curieuse façon. Les textes don­nent quelques indi­ca­tions et le lecteur doit, à par­tir des petites touch­es que l’auteur a posées sur sa toile, ten­ter de percevoir la scène, ce qui s’y joue. On passe d’une nar­ra­tion classique :

Il suit un chemin de terre

à une langue détraquée, clau­di­cante, qui rend ici et là l’accès au sens plus difficile :

grange maisons col­lées voiture

Déter­mi­nants et pronoms per­son­nels se sont effacés, ce qui fait naître une sen­sa­tion de déséquili­bre. Dans Des­tin d’un ange, une phrase peut s’arrêter bru­tale­ment. Comme si les mots man­quaient. Comme si, arrivée au bord d’un gouf­fre, la femme qui se racon­te préférait s’en remet­tre au silence. Ce qu’il y a à dire s’avère par­fois trop douloureux. Cepen­dant, ici, le silence ne dis­simule rien ; il rend au con­traire pal­pa­bles la vio­lence et la peur.

Un jour, le non-dit est expul­sé à l’extérieur.

 

Voilà doc­teur c’est
mieux je l’ai trop tenu
dedans à me ronger les 
nuits.

 

Mais le mal-être reprend le dessus. Pèse des tonnes. Certes, d’autres sou­venirs émer­gent aus­si, qui sont comme de joyeuses petites bulles à la sur­face de l’eau pro­fonde – et trou­ble : la mon­tagne, les arbres, le ciel qu’on peut touch­er… Ils n’arrivent pas à faire pass­er le goût des tragédies anci­ennes. Les drames s’inscrivent dans la chair, dans les vis­cères. La parole devient de plus en plus hachée.

 

La fourche est assez proche de Des­tin d’un ange sur le plan formel. 

 

à l’abri des saules
vête­ments étalés 
chu­chot­er des secrets.

 

Mais les sou­venirs placés ici au cen­tre sont plus lumineux.

 

On ressor­tait de
l’eau lèvres bleues
vio­lettes le bout des
doigts plis­sé pâle
petits morceaux de feuilles
brins de paille collés
sur le dos les fesses
les cuiss­es la peau brillait

 

C’est le présent qui pèse lourd, celui qu’on passe à l’hôpital en fin de vie, la prox­im­ité avec cette voi­sine de cham­bre qu’on n’a pas choisie et qui n’a plus toute sa raison.

Finale­ment les deux ensem­bles de ce recueil sont comme deux vari­a­tions à par­tir d’un même thème musi­cal. Si on recon­naît le com­pos­i­teur, la couleur de chaque morceau est dif­férente de celle des autres.

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