Jean-Vin­cent Ver­don­net ne s’est jamais lais­sé envahir par la dérélic­tion en dépit de ses épreuves. Il a tou­jours trou­vé dans la beauté des paysages de quoi tran­scen­der les abîmes de ses gouf­fres intérieurs. La caresse du Chablais, du Genevois comme aus­si les paysages du Quévec sont devenus sou­vent les pré-textes de sa poé­tique. Et ce dès les pre­miers temps non encore con­t­a­m­iné par l’ex­péri­ence de la guerre :

 

« Dans cet âcre tonneau
qui con­te­nait l’avoine des chevaux
l’en­fant voy­ait s’ouvrir
les grilles d’un jardin de signes »,

écrivait le jeune poète.

Autom­nales — ponc­tué par des pein­tures de Claire Nicole —  ne déroge pas à la règle. Sous forme de ter­cets le livre évoque l’effet du temps sur le paysage et le mys­tère qu’il provoque l’âge venant.

 

« Précé­dant ceux de la lumière
les pas de l’indicible en marche
vers les bar­rières du couchant »
sug­gèrent une approche particulière :
« Vient l’heure du regret des frasques
mais pour le par­don des étoiles
il te faut atten­dre la nuit ».

 

Rien ne sert de courir. Le temps aura bien­tôt rai­son de nous :

« Les vagues du som­meil t’apportent
ces échos du pays d’ailleurs
dont nul n’est jamais revenu ».

Par­v­enue à ce point la poésie pose donc la ques­tion du sens de  la vie. Elle crée un pou­voir de con­nais­sance plus que de recon­nais­sance et  se situe à l’op­posé de l’illusion paysagère “ réal­iste ” fidèle, objec­tive, “ naturelle ”. 

 

Immergé dans la nature qui n’est pas encore celle des grandes Alpes le poète se soumet aux élé­ments inscrits dans un temps plus long. Il n’est pas l’homme des déchaîne­ments et des con­vul­sions qui déchirent l’homme. Il reste le poète de l’harmonie. La pos­ture peut sem­bler peu héroïque. De fait il est tou­jours plus facile de se laiss­er aller aux défer­lements des orages que de les dompter. L’ar­ti­fice est facile surtout en littérature !

Dans Autom­nales, le paysage n’est pas réduit à un objet pure­ment frontal  à la Poussin par exem­ple. Les évo­ca­tions paysagères man­i­fes­tent quelque chose du regard. La poésie regarde regarder. La « béance ocu­laire » chère à Lacan s’y inscrit. Le poète sug­gère  le rébus qui l’habite par l’œil qui se cherche en lui — comme on dis­ait autre­fois que l’âme se cher­chait dans les miroirs.

 

Deux opéra­tions ont donc lieu en même temps : con­cen­tra­tion mais aus­si ouver­ture du champ. La con­tem­pla­tion poé­tique de Ver­don­net fonc­tionne donc dans une dimen­sion struc­turante. Elle  sub­ver­tit les notions habituelles de dehors et de dedans pour atteindre

« ce monde autre en toi qui te hèle
aus­sitôt qu’ar­rive à son terme
l’ivresse éparse des racines ». 

Ce n’est plus néan­moins et comme trop sou­vent la mélan­col­ie qui s’ex­prime par l’évo­ca­tion de la nature. A une révéla­tion roman­tique plus ou moins féerique est préféré le désir de rap­a­tri­er l’œil dans le regard et la chose dans la nature.  Tel Spin­oza s’ef­forçant de polir avec patience jusqu’à la per­fec­tion ses lentilles optiques pour affin­er sa per­cep­tion de la nature —  Ver­don­net pro­pose de redonner à celle-ci non le  bril­lant fac­tice de l’il­lu­sion mais sa valeur d’in­stru­ment de rit­uel existentiel.
 

image_pdfimage_print