AS-TU OUBLIÉ LE SUSPENS DE TES MAINS ?

Que de fois, tes mains ont guidé. Elles venaient, doigts et paume rêveurs, sans trop con­naître leur pou­voir, tes doigts frôlaient un peu comme hési­tants comme oublieux se glis­saient se frayaient pas­sage douce­ment très douce­ment grif­faient et les choses se tai­saient, un temps. Sous ta main, tel baig­nant dans la ver­dure à l’ac­cord recon­nu, le laps factuel crois­sait en inces­sant avène­ment. Haut feuil­lage (ciel de lit fastueux), herbe tiède et ten­dre comme un ven­tre savaient que c’est de toi que vibr­eraient mes veines.

Nous nous explo­ri­ons lèvres à peau langue à lèvres, ain­si qu’on fait d’un fruit pulpe jus dans la bouche, qu’on savoure leurs justes noces. Il y avait des cris ravalés, des gémirs de pari­ade. Nous exultions.

Tes mains vouaient à l’i­ci frag­ile, ici pré­caire ; elles dis­aient repas, elles dis­aient fontaine, cruche, ago­ra, verg­er. Elles ten­taient une cal­ligra­phie poli­tique, rejouaient Marx. Elles dis­aient : « Risque-toi dans même la con­fi­ance que rien ne prou­ve ». Extase propagée d’un fris­son, c’est ain­si qu’elles nous ont hissés sur la vague, fait garder pied com­plète­ment à nous exister.

 

***

 

FUYANT L’ASPHYXIE

Il meurt lente­ment / celui qui évite la passion
Pablo Neruda

 

On peut aimer les fleurs, les pêch­es, les femmes, les peaux de bêtes, celles des pêch­es, celle des femmes, celle des hommes, les puis­sants fûts flex­i­bles et les buis­sons, le sang dans les plumes, la rosée sur les poils ; mais nul aus­pice ne fait signe sur la peau de nos heures. Ni les brasiers qui, par­fois, sem­blent para­phe d’insoumis ; ni le fris­son dans lequel, pour cer­tains, se mon­tre un souf­fle d’advenue. Si cha­cune de nos mains éclot au poids des choses (ô tes fruits lourds con­fiés dans le creux de mes paumes !), et que d’elles monte un cri de joie, lignes de vie vignes de chance, aucun feu de sar­ments ne déchiffre la nuit. Bruits de bottes, mous­que­tons, Mirages, Rafales, soupirs presque inaudi­bles de famine, bis­tan­claque : vies écrasées ?

Que se per­pétue-t-il d’étincellement chez un – eût-il le dos vaste comme plaine –, extir­pé de ses rêves jour après jour avant l’aurore, quand la réal­ité débor­dante revient l’assiéger au plus pro­fond de lui-même ? À peine le som­meil renou­velle le souf­fle ; brin­que­balé dans des wag­ons bondés, ses tym­pa­ns fra­cassés par le hour­vari, moulu par le rythme féroce qui pèle la chair au plus gris du corps ; érein­té par les pos­tures de com­mande, les saugrenus pro­to­coles dic­tés : pro­duire de l’échange pour échange effréné de changes.

Reste que l’allemand Waldein­samkeit révèle ce lien intime à la nature que l’on ressent, soli­taire un matin dans les bois ; que le japon­ais komore­bi évoque la clarté du soleil fil­trée par un feuil­lage ; que l’italien culac­ci­no dit la trace sur la table d’un verre de cor­diale fraîcheur.  Le pressen­ti­ment, fébrile quelque peu, qui pousse à jeter un œil pour guet­ter dehors la venue de quelqu’un, une langue, d’un seul mot, le nomme ; une autre, d’un unique mot elle aus­si – sobreme­sa – fait enten­dre l’agréable causette entre con­vives après dîner. 

Voca­bles d’une con­vic­tion, seraient-ils intraduis­i­bles. Cha­cun, et  nom­bre d’autres avec lui, main­ti­en­nent : nous sommes corps à corps, nous sommes de la terre, pas seule­ment vide et cen­dre. Certes, il n’y a pas d’espoir. Mais en ta chair vibrant avec ma chair, nos chairs can­tiques leurs mots musqués ou leurs silences vibrent des instants à saveur de vraie vie.

 

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LA FEMME AVEC QUI JE SUIS EN AMOUR

 

Le crève-cœur faib­li, sans doute serait-il pos­si­ble d’adresser un début de motet à un être de lumière ; encore faudrait-il que me vînt quelque fig­ure ou sa feinte, signe quel­conque avant-coureur ouvrant leur envol aux voca­bles, les lais­sant s’affranchir de l’horizon fielleux.

Prémices : aux entrailles, une fougue métis­sée d’euphorie, un réveil de visées sans des­sein pour l’instant, de silen­cieuses effi­gies augu­rant un futur incer­tain. Mais l’orpailleur du temps n’écrit-il pas : « L’étreinte poé­tique comme l’étreinte de chair / tant qu’elle dure / défend toute échap­pée sur la mis­ère du monde » ?

Bien enten­du, soudaine, toi : sibylline, sub­tile, vêtue de tes seuls songes, sang et chair inten­sé­ment, déroutante un peu dans l’haleine des fièvres ; toi qui t’ébats, souris ; toi qui viens pro­cur­er sans cal­cul une aubaine, quand le jour enrosit : m’offrir ton fre­don de fontaine.

 À cha­cun des vagirs mon­tés de ton cœur à ta gorge, le prosème se soleille à ta voix bleue d’angelus lente.

 

***

 

 

TU M’APPRENDS À SOURIRE

 

Tu as passé le seuil de ma demeure, et je n’y suis plus con­finé.  Cordelles dénouées, fenêtres et impasse s’ouvrent, le songe amer où, per­du, je vivais se dis­sout : tu me sou­tiens, tu me con­fortes sur chaque marche du col­i­maçon qui m’élève.

Tu me décrispes, cica­tris­es. Mes jetées dans l’élan, tu les for­ti­fies, mes bouf­fées de fias­co, tu les tem­pères : tu as coulé ta sève en moi. Et ma fig­ure, moins flétrie, dans l’in­cendie patient s’avive.

La quié­tude des pâtis semés d’animaux et d’herbe jeune rassérène. Ain­si qu’une vapeur, se dis­sipe le bât sur mon dos harassé. Alen­tour, les faces fielleuses, œil ven­imeux scru­tant le désar­roi, ne m’aperçoivent plus, disparaissent.

Comme issue d’une source abyssale, tu t’of­fres, me sai­sis, me dress­es, toi insuf­flée de tant de rus, libres et lavandiers. Finies morailles, finies som­breurs ; finis la ter­reur, ses ves­tiges. Il y avait ronce, il y a four­rure, il y avait fatras, c’est splen­deur. Les relents se sont faits enivrantes senteurs.

Fer­maient des cade­nas ; voici la mer immense, la mer pigeon­nante et sa liberté.

Tu guées, nue, mon suaire des vieilles sueurs froides, l’im­prègnes de nos sucs pour les jours qui me restent.

 

 

***

 

                       QUAND LA MAIN TREMBLE EN ÉCRIVANT 

 

                        Avons-nous trop peu de ténèbre au regard pour apercevoir des lucioles ?

Nos artères bat­tant, y avons-nous trop de soupirs de hurlements pour acqui­escer au phrasé d’un sourire ?

Auri­ons-nous trop faible fougue au sang pour touch­er fades et ternis ?

Quels signes sont à lire sur la peau du temps ? Quelle terre s’y promet, quelle argile nou­velle ? Quels fris­sons de gynécée dans le tour­bil­lon du souffle ?

Aujourd’hui lance son appel par son obscu­rité même.

Êtres de puis­sance, ne pas pou­voir nous est pos­si­ble. Tra­vail : trois pieux, la police, la pire ! Accor­dons-nous loisir, sans faire profession.

                        Détournons pour un bais­er la bouche qui sert à manger.

Con­ver­sons, même en bégayant ; il y a traces de doigts sur la vit­re de la cui­sine, nos mains se mêlent, octroient fenêtre à nos lèvres pour les uns aux autres fray­er voie. Quel voca­ble ne con­tient, en syl­labes et toutes let­tres, loterie d’échappées belles ?

La chair pétrie plis­sée striée comme vase de Barceló se fait verbe, fût-il silence.

 

 

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