Ver­net sait que le réel devient sug­ges­tif surtout lorsqu’il se tait. Encore faut-il savoir extraire de sa paix et de sa réti­cence une matière vibrante. A l’image de la vie qu’on ne peut saisir par la gorge il faut donc trou­ver le moyen de faire par­ler son silence. A défaut de le saisir la poésie de Ver­net s’en rap­proche au plus près. Ce n’est pas s’aujourd’hui : sou­venons-nous de son  « Le silence habité des voy­ages » et « Le silence n’est jamais un désert ». Son dernier opus  leur fait écho là où  il n’est pas jusqu’au mutisme des pier­res à s’ouvrir au murmure.

Afin d’y par­venir Ver­net écrit à la pointe de l’œil et l’oreille en écoute sur les abîmes avec un sens de l’aigu. La sen­si­bil­ité extrême pour la ligne la plus fine, le goût d’in­cis­er le soupir du vent afin de voir dedans, le jeu des inter­stices per­me­t­tent après une phase con­tem­pla­tive la créa­tion de textes qui sem­blent venir d’un coup. Les mots se calent à leur juste place dans une poésie en prose qui s’accorde à la langue de poètes qui ont par­fois choisi d’autres voies : André du Bouchet par exem­ple dont Ver­net est beau­coup moins éloigné qu’on pour­rait le penser.

Comme lui il tra­vaille sur le silence, l’e­space, la vibra­tion, la lumière et entre­tient avec le mer­veilleux d’ici-même, d’ici bas un rap­port par­ti­c­uli­er.  A la vitesse et au bruit il oppose la lenteur et la paix. Celle qu’on entend  unique­ment dans un exer­ci­ce de con­tem­pla­tion. Soudain le silence se trans­forme en une musique venue de partout et de nulle part. Une musique qui ne s’entend pas encore et que les musi­ciens con­tin­u­ent de chercher. L’oreille ain­si sol­lic­itée rend l’esprit patient et il suf­fit d’utiliser la force de cette patience pour que la poésie soit ce qu’elle devient pas à pas : un bond hors de soi,  un saut au dessus du vide.

Dans ses exer­ci­ces de soli­tude de « Rumeur du silence » la poète sait qu’il doit se démet­tre de lui-même afin d’atteindre un état d’attente, de sai­sisse­ment comme de des­sai­sisse­ment. Il se pro­jette « vers la steppe », se laisse pénétr­er, s’ennoblit au creux d’une sim­plic­ité vibra­toire. Il devient acteur au sens pre­mier du terme : l’expressif involon­taire, inspiré et capa­ble de se décoller des emphases pour en accepter une seule : faire vibr­er ce qui sans son inter­ven­tion ne serait pas enten­du au sein du silence.

Dans cette approche une part impor­tante est lais­sée à la rup­ture, aux répéti­tions. Chaque seg­ment par des jeux  d’accords et de désac­cords per­met au texte — loin de toute faconde ou fra­cas —  d’ex­plor­er des con­trées incon­nues.   Une musi­cal­ité cassée et sourde donne une grav­ité, une sim­plic­ité et une inten­sité au paysage vécu dans la profondeur.

Soudain est atteint ce « grand secret » dont rêvait Michaux, Ver­net en pro­pose d’ailleurs son mode d’emploi : « Nous restons là, immo­biles, éblouis dans la mai­son qui sort à peine de la nuit, de l’hiver. Nous n’allons plus très loin sous ce vaste ciel qui est notre plus beau livre de lec­ture. Les jours en tour­nent les pages et la fer­veur ne retombe jamais, jamais. Il nous faudrait pou­voir chanter chaque sec­onde de cette vie brute, si ordi­naire, en dévoil­er toutes les péripéties faites de som­meil, de rêver­ies, de prom­e­nades, d’attente et de songes ». A ces con­di­tions le poème en prose devient souf­fle, soubre­saut bien plus qu’échantillon du vacarme. Il donne au silence né des abîmes et tiré du néant un rythme lanci­nant. Il n’est pas sans rap­pel­er les plus grands Lieder de Schubert. 

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