P.S. n°77
Voilà, ici nous avons raté nos rêv ô lution : chang­er le monde de cru­auté et de cynisme pour un monde de jus­tice et de sol­i­dar­ité. Alors cet échec sera, sans doute plus facile à assumer là-bas (par exem­ple) ‑ici- en Ital­ie (ou moins loin : en Afrique ou en Ori­ent). Ce serait comme un dernier voyage…

Voici, pour une fois, en italique ce sera moi, la petite bafouille habile pour faire enten­dre les bouts d’une voix écrite, his­toire d’ha­biller la référence toute sèche que tu es venu chercher, lecteur : « tiens, Blaine a sor­ti un nou­veau bouquin, l’avais pas vu en ray­on ‑ah, l’é­tat de la librairie et des sup­plé­ments livres ! »

Le CD, déclamé par Monique Dorsel, d’une bonne heure, bon­heur, s’a­joute au livre, à moins que ça soit l’in­verse. Cette voix ferme et rigoureuse mon­tre la tenue et la rigueur qu’on oublierait en lisant les pages qui courent, ambu­lent, amples & cas­santes, qui don­nent à retor­dre. Par­fois même se tor­dre, sans qu’on sache si c’est de rire ou de douleur. Le dernier livre (Recours au Poème n°106) se voulait biographique, celui-ci se voudra diarique (mais jamais diar­rhéique, même si ça chie parfois).

Dès le début : déf­i­ni­tion de la per­for­mance, s.f. mot gal­vaudé, méfiez-vous des imitations…

C’est un corps
dans un espace
et c’est un son
dans un corps,
ce son est celui de mon corps
ou celui de cet espace,
(…)
Puis c’est un geste
du corps
et un mouvement
de cet espace
(…)

Ensuite, une longue enfilade de post-scrip­tum (scrip­ta), un art dés­espéré. Enlivrés, achevé d’im­primer en jan­vi­er 2014, postés, trans­portés, ‑trans­es postées‑, livrés en celle fin du mois d’août 2014. L’ironie voulant que le cachet faisant foi était du 13 mars 2013 ! Né avant son âge. Tu l’as com­pris, le temps est la matière, à son corps défen­dant par­fois, de ce livre écrit par un vieux per­formeur. Lequel n’hésite pas pour­tant à inviter Ben à un match de boxe entre sep­tu­agé­naires en pub­lic et en 3 min­utes 33 (ô lâche Ben qui s’est défilé et a servi un vieux ragoût de Fluxus microondé).

À pro­pos  de « matière » et de corps défen-dents :

Il y a 9 semaines,
j’ai bien dit 9 semaines !
je mangeais des asperges vertes de Lauris
déli­cieuses et résistantes (…)
Et en tirant sur l’une d’en­tre elles à pleines dents
mon petit bridge à 3 dents
s’est fait la malle dans l’estomac
puis dans l’in­testin grêle (iléum)
puis dans le gros intestin (colon trans­verse, colon ascen­dant, colon descendant)
avant d’ar­riv­er dans le rec­tum et émerg­er de l’anus
c’é­tait du moins mon souhait !

Vieux corps du poète. Vieux corps du monde aus­si. Vieux milieu poé­tique. Où est la belle aurore d’hi­er ?  En de nom­breuses pages, cette ambiance à la Sco­la : Nous nous étions tant aimés.

PS. n° 81
(…) Jadis et hier encore l’im­mense cul­ture russe : écrivains, poètes, savants, musi­ciens, pein­tres, inven­teurs, archi­tectes, cinéastes, &c. soutenue par l’ar­gent du noble ou du commerçant…
Les pre­miers inven­tèrent les trou­ba­dours et l’amour
Les derniers le futur­isme et les avant-gardes
Hui, ces nobles et ces com­merçants, ne sont que bons à coups de mil­liards de « soutenir » le football !
J’ai honte pour eux (…)

J’ai écrit à Julien Blaine : « Lu/entendu l’o­pus alpestre. Som­mets blan­chis sous le harnois. Vous, lassé du des­tin des audaces qui font leur nid pépère dans le Siè­cle. Lire en même temps la 12ème satire de Boileau. Amitiés ».

Il a répon­du : « J’y suis donc retourné… “Je ferais mieux, j’en­tends, d’imiter Bensser­ade. / C’est par lui qu’autre­fois, mise en ton plus beau jour, / Tu sus, trompant les yeux du peu­ple et de la cour, / Leur faire à la faveur de tes bluettes folles, / Goûter comme bons mots tes quoli­bets friv­o­les “. Hier Bensser­ade pro­tégé par les pou­voirs… Hui les Bensser­ade sont légion ! Ami­tiés ».

Hui donc, prince démul­ti­plié, d’ap­parence médiocre (nor­male) mais pas moins retors et surtout déléguant son arbi­traire à l’É­cole (jadis on dis­ait la Sorbonne) :

En ce début de millénaire
la per­for­mance est partout avec le théâtre, la danse, la musique, les arts plastiques
et c’est tant mieux…
Mais elle est aus­si enseignée dans les Écoles d’Art
et là c’est tant pis.
Pau­vres écol­iers qui se retrou­vent face à des jeunes femmes ou des jeunes hommes voire des vieilles femmes et des vieux hommes qui sont loin de leur corps et de leurs actes, loin de leur vie et de leur désir, loin du risque et du plaisir, loin de la haine, de la révolte et de l’amour, et qui con­duisent ces écol­iers de col­lo­ques en sémi­naires sur les autoroutes du savoir mort.

J’ap­pré­cie le style (jeunes jeunes / vieilles vieux), sim­ple, tapant juste. La France entière est dev­enue la Cour, basse cour qui caque­tte et cour­tise. Blaine, loin-proche d’Ar­batz et du pau­vre Pirotte (Recours au poème n° 107 et 102) fait-il œuvre de moral­iste ? Le mot nous fait mal, à nous autres, mais enfin… Dis­ons qu’il résiste. Si ce mot de plus fraîche cueil­lette n’avait lui aus­si con­nu un des­tin qui fait pitié. Va pour résis­tance, et d’abord au tort inévitable de vieillir.

Pour­tant, sur la cou­ver­ture du livre, la pho­to d’un chapiteau roman du prieuré de Serrabone. Sans doute Daniel dans la fos­se aux lions. Ce Daniel-là ouvre l’é­tau mus­culeux des deux lions, comme on vient au monde. Enten­dre : le vieux bouge encore, n’est-il pas en train de naître ?
Dessous l’im­age est écrit : Il faut désacralis­er l’artiste et le poète, disent-ils./ Je ne dis pas ça !
Et puis,
                 Les 2 caress­es du poète :
                 1/ Ser­rer la langue de la main gauche ou droite.
                  Tenir sa langue.
                  2/ Agrip­per l’or­eille de la main droite ou gauche.
                   Ten­dre puis prêter l’oreille.
                    Et par ce dou­ble don,
                    le poète dit,
                    le poète est.

 

 

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