André Vel­ter a le goût du voy­age : n’a-t-il pas pub­lié en 1976 Le Livre de l’outil, Les Bazars de Kaboul en 1979… Mais il a aus­si le goût de l’o­ral­ité : si on se sou­vient de son émis­sion Poésie sur parole sur France-Cul­ture, il y eut aus­si d’autres œuvres radio­phoniques et sa discogra­phie compte une douzaine de titres ; et je me sou­viens de l’avoir enten­du dans un réc­i­tal poé­tique lors d’un salon… Le présent recueil, Jusqu’au bout de la nuit, sous-titré “Un livre-réc­i­tal avec Gas­par Claus” est à l’ex­acte ren­con­tre de ces goûts… Gas­par Claus est vio­lon­cel­liste : c’est le texte lim­i­naire qui l’ap­prend au lecteur igno­rant. C’est “un inter­prète hors du com­mun qui entre­tient des rap­ports fusion­nels avec son vio­lon­celle qu’il frôle ou pétrit, caresse ou mal­traite selon ses inspi­ra­tions musi­cales” peut-on lire sur inter­net. C’est dire qu’il n’est pas n’im­porte quel vio­lon­cel­liste, mais un de ces instru­men­tistes capa­bles de tir­er de son instru­ment des sonorités inouïes qui font penser à celles “des gui­tares, des con­tre­bass­es, des man­do­lines, des luths d’Ori­ent, des sazs, des rababs, des san­tours, des sar­o­ds, des sitars, des tablas, des damarus, des biwas, des kokyus…”, selon Vel­ter lui-même… Jusqu’au bout de la route est com­posé de sept ensem­bles de poèmes et de quelques textes isolés, pros­es et poèmes…

    Jusqu’au bout de la route est un livre poly­phonique aux émotions/souvenirs de voy­ages (ravivés par la musique) ; André Vel­ter mêle des références divers­es : lieux (anciens par­fois, chargés d’his­toire), poètes, pein­tres, philosophes, actu­al­ités ou his­toire… C’est un  voy­age physique autant qu’un voy­age à tra­vers la cul­ture : voy­ages réels, voy­ages rêvés, sou­venirs … pour abor­der le livre par une autre face. La lec­ture donne par­fois l’im­pres­sion que la prise de notes sur de petits car­nets au cours des périples est insuff­isante : à quoi bon, quand les mots sont tou­jours en deçà du sou­venir ou du vécu ? Reste alors le poème pour repren­dre les choses, pour mieux les cern­er, faire ressor­tir leur essence afin que les mots soient à la hau­teur du sou­venir ou du vécu. “Quelle mémoire est la mienne” demande André Velter…

    Livre poly­phonique par la diver­sité des poèmes ici regroupés tant les vers sont dif­férents (ça va de l’oc­to­syl­labe au vers ample de 20 syl­labes !), comme si Vel­ter voulait met­tre en évi­dence l’ap­pareil­lage d’un rythme autant poé­tique que physique. Cette diver­sité appa­raît aus­si dans l’u­til­i­sa­tion de divers car­ac­tères (romains haut et bas de casse, italiques) : s’ag­it-il de matéri­alis­er ain­si les statuts dif­férents du poème ou le moyen qu’il représente ? Ou s’ag­it-il de didas­calies liées au réc­i­tal ? Diver­sité encore avec des poèmes très libres, d’autres à forme fixe et (para­doxale­ment) très libre ou l’u­til­i­sa­tion occa­sion­nelle de la rime : je pense en par­ti­c­uli­er à ces poèmes regroupés dans Du Japon sans y être qui sont con­stru­its sur le même mod­èle (qua­tre qua­trains et un vers isolé pour con­clure)… Sept ensem­bles de poèmes donc comme sept explo­rations de ter­res et/ou de l’imag­i­naire qui s’y est enrac­iné, sept explo­rations de ter­res dou­blées de ten­ta­tives d’ex­pli­ca­tion des mer­veilles ou de l’hor­reur qu’on y rencontre…

    “Il n’est aucun dieu hors de nous” affirme André Vel­ter. Reste alors à repren­dre sans cesse le voy­age, à aller jusqu’au bout de la route (jusqu’à la mort, donc) : poésie for ever !

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