Une bonne par­tie de la poésie con­tem­po­raine est tra­ver­sée par la quête de ce lieu idéal que d’au­cuns imag­i­nent comme un lieu natal. Toute une vie n’est pas de trop pour cern­er ce lieu qui, de poème en poème ou de prose en prose, est approché. Je pense, en par­ti­c­uli­er, à Yves Bon­nefoy qui dans L’Ar­rière-Pays iden­ti­fie un arbre à cet ailleurs qu’il n’a jamais cessé de rêver, ce “vrai lieu” où s’opère une fusion alchim­ique puisque l’i­ci est dans l’ailleurs… Je pense aus­si à ce point où les con­tra­dic­tions s’abolis­sent, c’est André Bre­ton qui écrit dans le Sec­ond man­i­feste du sur­réal­isme : “Tout porte à croire qu’il existe un cer­tain point de l’e­sprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imag­i­naire, le passé et le futur, le com­mu­ni­ca­ble et l’in­com­mu­ni­ca­ble, le haut et le bas cessent d’être perçus con­tra­dic­toire­ment”.

    C’est ce point, ce lieu que François Xavier s’acharne à retrou­ver dans son long poème “Là-bas trois fois”. Poème qui ren­verse les con­ven­tions de l’écri­t­ure poé­tique puisqu’il est jus­ti­fié à droite d’une part (sauf dans la deux­ième par­tie où toutes les jus­ti­fi­ca­tions sont présentes) et que d’autre part, sou­vent, le vers (ou ce qui en tient lieu) com­mence par un signe de ponc­tu­a­tion, la plu­part du temps des points de sus­pen­sion… On a l’im­pres­sion que ce dis­posi­tif est la con­créti­sa­tion de l’im­pos­si­bil­ité de l’at­teinte de ce lieu : comme si le flux poé­tique se heur­tait matérielle­ment à un mur invis­i­ble qui oblige à aller à la ligne et laisse le poète hébété avant qu’il ne se risque à écrire un nou­veau vers… Comme s’il fal­lait à tout prix sym­bol­is­er le néant (qui n’est qu’un embrouil­lami­ni de notions tra­ver­sant l’e­sprit) duquel sur­gis­sent la poésie et le désert à tra­vers­er pour attein­dre ce là-bas qu’à trois repris­es François Xavier tente de rejoin­dre : son poème n’est-il pas divisé en trois par­ties, en trois chants ? Rien n’est jamais acquis car le blanc troue le vers, le poème…

    Aspi­ra­tion à un ailleurs et chant d’amour : les réso­nance baude­lairi­ennes ne man­quent pas. Cet ailleurs revêt des allures exo­tiques : pois­sons volants, cocotiers, mer, cachemire ; il ne faut pas alors être sur­pris par ces mots sor­tis dans le désor­dre de L’In­vi­ta­tion au voy­age : “calme, luxe et volup­té”… Chant d’amour sym­bol­isé par cette elle énig­ma­tique, jamais nom­mée, au ven­tre tison, beauté lux­u­ri­ante et “fille aus­si comme au pre­mier soir”. Il y a une cohérence évi­dente dans l’œu­vre de François Xavier puisque l’ex­pres­sion “dans l’œil du cyclone” qu’on peut lire page 17 fait référence à son roman pub­lié en 2012. Le doute saisit par­fois le poète : “et si la boucle accepte le fer­moir du monde / saura-t-on enfin que der­rière il n’y a rien ? / trois fois rien / juste… ça…”. Il n’est alors pas éton­nant que le poème se ter­mine par ces vers : “ici, c’est main­tenant / ici est l’ailleurs — là-bas, trois fois”.

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