Cor­re­spon­dance entre Char et Aguirre

 

Au début des années 50, le poète et tra­duc­teur argentin Raul Gus­ta­vo Aguirre, acteur de la forte revue poe­sia bueno aires, entre en rela­tions avec René Char, poète dont il admire vive­ment l’atelier. C’est le point de départ d’une longue cor­re­spon­dance et d’une grande con­fi­ance mutuelle : Aguirre tra­vaille avec con­stance à la tra­duc­tion et à la dif­fu­sion de l’œuvre du poète de L’Isle-sur-Sorgue de ce côté-ci du monde his­panophone. La lec­ture de cette cor­re­spon­dance, 30 ans après la dis­pari­tion d’Aguirre, donne à voir deux poètes et deux hommes ayant du respect et de l’admiration l’un pour l’autre. La paru­tion du vol­ume vaut, à juste titre, recon­nais­sance, celle que l’on doit à Aguirre pour avoir défendu la poésie de Char (comme une sorte d’apôtre, écrit l’épouse d’Aguirre). C’est aus­si un dou­ble éclairage : sur l’atelier de Char et sur l’histoire récente de la poésie, française autant qu’argentine. Car si cette cor­re­spon­dance éclaire au sujet de Char, elle le fait tout autant à pro­pos de la revue d’Aguirre. Du reste, l’avant-propos de cette édi­tion est don­né par Rodol­fo Alon­so, poète argentin qui fut le plus jeune con­tribu­teur de la revue poe­sia bueno aires lors de sa nais­sance. Alon­so rap­pelle qu’Aguirre fut le pre­mier tra­duc­teur de Char en langue espag­nole, tant en revue qu’en ce qui con­cerne les livres. Poe­sia bueno aires est née en 1950 et a con­nu trente numéros jusqu’à 1960, ain­si que 33 livres, nom­bre tout à fait évo­ca­teur. Le rôle d’Aguirre ? La cheville ouvrière de la revue ; il n’est, jamais, aucune aven­ture édi­to­ri­ale en poésie sans une ou deux chevilles ouvrières. De quoi s’agissait-il ? Selon Alon­so : « poe­sia bueno aires a main­tenu son objec­tif cen­tral : la rébel­lion ouverte con­tre les pré­sup­posés formels de la poésie, con­tre les formes soi-dis­ant inspirées, con­tre les con­ven­tions lit­téraires. Mais sans jamais retomber dans un nou­veau dogme, dans aucune recette pré­ten­du­ment défini­tive. En bouclant le numéro 25 (automne 1957), Aguirre a con­fir­mé son pari : « aucune for­mule, aucune recette, en con­clu­sion, ne peut être tirée de ces années. Une fois encore, il faut le dire : nous ne savons pas ce qu’est la poésie, et moins encore com­ment on fait un poème ». C’est ce que l’on affirme tou­jours en ter­ri­toire poé­tique lorsqu’en réal­ité on défend de vraies convictions.

Qui croise-t-on dans cette revue, out­re Char ? Aguirre, Bay­ley, Tre­jo, Madaria­ga, Nico­las Espiro, Uron­do, Vanasco, Giribal­di, Alon­so, Ale­jan­dra Pizarnik, Mace­do­nio Fer­nan­dez, Drum­mond de Andrade, Huido­bro, César Valle­jo, Elytis, Néru­da, Paster­nak, Mon­tale, Ungaret­ti, Cum­mings… Ici, René Char est un « cas par­ti­c­uli­er », par sa présence, dès l’incipit de la revue, laque­lle s’ouvre sur les mots du poète.

C’est un vrai bon­heur de plonger dans la cor­re­spon­dance entre René Char et Aguirre, on se promène dans toute une époque, dans la vie vivante de la poésie. Et quelle époque ! Cela revien­dra, nous y tra­vail­lons. Tout n’est pas « rose » bien sûr : au tour­nant des années 60, la cor­re­spon­dance est sous-ten­due par la vio­lence à l’œuvre en Argen­tine, entre restes du péro­nisme et approche des généraux. Mais l’on croise aus­si la sil­hou­ette de Juar­roz, de retour de sa vis­ite ren­due à Char, puis des pho­togra­phies d’Aguirre et Char aux Bus­clats, puisque le poète argentin vient chez son ami en 1974, 1979 puis en 1980. La dernière let­tre est ter­ri­ble, let­tre par laque­lle Mar­ta, épouse d’Aguirre, annonce la récente dis­pari­tion de son mari. On ne peut que remerci­er Marie-Claude Char d’avoir orchestré ce vol­ume et les édi­tions Gal­li­mard de nous per­me­t­tre de lire cette correspondance.

   

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