Ce qui nous tuera tous, c’est que les arbres voy­a­gent trop loin
de leur nais­sance pour être façonnés

 

Matthieu Mes­sagi­er s’est d’emblée instal­lé dans le paysage poé­tique français, au tour­nant des années 1970, en pub­liant ses livres chez des édi­teurs réputés (Pau­vert, Bour­go­is, Seghers). Son engage­ment en poésie appa­raît alors aus­si quand il signe, en com­pag­nie de Bul­teau ou Bianu, entre autres,  le Man­i­feste élec­trique aux paupières de jupes (Le Soleil Noir). Une autre époque, plus ani­mée. Depuis, Mes­sagi­er est l’auteur d’une œuvre con­séquente parue entre autres chez Flam­mar­i­on et au Cas­tor Astral. Une œuvre que son dernier édi­teur présente ain­si : « (…) une œuvre sin­gulière mar­quée par une syn­taxe brisée et un sens de la vitesse qui, décu­plant la force sonore du vers comme sa sou­p­lesse ryth­mique, pul­vérise l’immédiateté d’un sens uni­voque au prof­it d’un kaléi­do­scope de sen­sa­tions ». Il est vrai que le rythme de la poésie de Mes­sagi­er est sin­guli­er, en par­ti­c­uli­er si l’on sait que le poète vit et écrit isolé, dans un moulin, à l’écart du monde, depuis qu’il est con­traint à l’immobilité. Il écrit cela dès le début :

 

No inter­net
isolé dans ma forêt
plus exacte­ment dans la forêt à laque­lle j’appartiens
le ruis­seau qui col­porte mes poèmes
pos­sède une sacrée force pour aller comme ça
envoûter la suff­i­sance d’une époque gavée de
spir­i­tu­al­ités erronées, mais
il revient, vite, le ruis­seau, en un fait il n’intervient
jamais
 

La poésie de Mes­sagi­er ne dédaigne pas, on le voit, un vocab­u­laire ancré dans le con­tem­po­rain, la moder­nité, notam­ment quand il con­voque le « sur­feur d’argent » pour faire la vais­selle. Ce n’est pas ce qui me frappe le plus, étant plus sen­si­ble à son rythme et à la force de nom­bre des apho­rismes émail­lant sa poésie. Apho­rismes vivant dans le corps même du poème :
 

Le voy­age à dix mètres est le plus long du monde 
 

Matthieu Mes­sagi­er vit sa poésie en com­pag­nie d’Artaud, Jar­ry ou Rim­baud. C’est ce que l’on dit de lui depuis des années. Peut-être est-ce exact, je l’ignore. C’est plac­er la barre haut. Sans doute à côté. Ne vit-il pas cette poésie dans un ailleurs beau­coup plus pro­fond que ce que peu­vent dire des « références » exprimées et répétées ici et là, d’article en arti­cle ? Ainsi :
 

Les poutres du Moulin
Dévelop­pent une énergie
Qui ne porte pas à figuration
Et qu’il faut savoir aimer
Elle s’associe à la force spir­ituelle de la forêt
Qui est sa jeunesse
 

Et cela ne suf­fit pas à oubli­er le manque de la ville. Car le poète est un exilé con­traint. On dira que c’est le pro­pre de tout poète. Sans doute. Dans le cas présent, cet exil n’est pas théorique, loin de là, il est porté par tout le corps du poète. Et la sit­u­a­tion n’empêche pas Mes­sagi­er de regarder le monde et de dire ou écrire ce qu’il en pense, s’opposant à tout ce qu’il perçoit comme étant une forme de fas­cisme. Bien sûr, ces cri­tiques peu­vent être dis­cutées mais cela ne présente aucune impor­tance de fond. La poésie est con­tes­ta­tion par essence, elle n’a pas néces­saire­ment besoin d’entrer con­crète­ment dans le poli­tique. Elle est cri­tique poli­tique par nature. Ce point de vue sera à son tour dis­cuté, bien enten­du. Et alors ? Que l’on pense à un cer­tain Aragon, ou à la « poésie » réal­iste social­iste… Ce n’est pas le cœur de la poésie de Mes­sagi­er, une poésie plutôt vécue comme rit­uel d’ordonnancement du monde. On ne vit pas au cœur d’une forêt pour rien. On ressent cela dans La dernière écri­t­ure du sim­pli­cié mais aus­si dans cet ensem­ble de chants ponc­tu­ant le recueil, Les dix-sept bras du silence de novem­bre :

 

Main­tenant que le ciel a brisé
Les cartes délétères encore
Plus longtemps le jour
Et mille fois vous êtes.
Lan­guir soit qu’un petit peu
Règne de mille feux.
Puis des abîmes résiduels
Ne sub­siste que l’empreinte du mortel
Le médica­ment dormi­ra mieux les jambes vers le sud.
Le ciel était couleur de moelle
Au loin les Français flanchaient.
 

Et la poésie de Mes­sagi­er ne manque par d’un cer­tain humour quand le recueil se ponctue par ce vers :
 

Etre Justin Bieber ou rien.

 

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