La destruc­tion du Parthénon est un roman – par bien des aspects. Et même un roman à la con­struc­tion très con­tem­po­raine : on y décou­vre le sujet et l’histoire au fur et à mesure de la lec­ture de bribes. Le lecteur passe de la con­fes­sion d’un gar­di­en du Parthénon à des témoignages et, entre temps, plonge dans la prose poli­tique du groupe qui veut détru­ire le Parthénon, ceux qui veu­lent « faire sauter L’Acropole ». Ain­si les fils de l’histoire se tis­sent et appa­rais­sent pro­gres­sive­ment, servis par le tal­ent de Chrys­sopou­los, jeune écrivain, une voix qui va indé­ni­able­ment compter en Europe, et aus­si par celui d’Anne-Laure Brisac, dont la tra­duc­tion sert bril­lam­ment son objet. Mais ce livre est plus et autre chose qu’un roman. Par son appari­tion : voilà un drôle de texte parais­sant au mois de mars 2012, en France du moins, tan­dis que la Grèce est dans la tour­mente des dingues qui « gou­ver­nent » l’Europe. Les foules dans la rue, un coup d’Etat financier sup­p­ri­mant la démoc­ra­tie dans ce pays, car c’est bien de cela dont il s’agit… Une rumeur selon laque­lle un min­istre alle­mand aurait con­seil­lé de… détru­ire le Parthénon, lequel coûterait trop cher aux finances publiques grec­ques. Il faut avoir tout cela à l’esprit en lisant le livre de Chrys­sopou­los. Pourquoi ? À pri­ori, qu’un anti héros de roman décide de plas­ti­quer l’un des plus anciens mon­u­ments européens peut paraître fou. Ici, on ne sait plus très bien où est la réal­ité : cette volon­té a‑t-elle eu lieu ? Il sem­ble que oui, puisque l’auteur évoque le cer­cle sur­réal­iste Les Annon­ci­a­teurs du Chaos qui, en 1944, a eu ou aurait eu cette ambi­tion. Vrai ou faux, peu importe. L’ensemble du texte nav­igue entre réal­ité appar­ente et réal­ité qui se pré­tend évi­dente. Peut-être les choses se dévoilent elles, peut-être pas. Nous sommes ici dans un entre-deux qui est en soi pas­sion­nant, si bien qu’en moins de cent pages Chrys­sopou­los con­stru­it un texte qui a tout d’une épopée inter­ro­geant mine de rien nom­bre de nos mythes, en pre­mier lieu celui de notre état col­lec­tif de civil­i­sa­tion européenne. Ce qui ne saurait mieux tomber en une époque où juste­ment une des raisons de la souf­france économique de la Grèce est liée à un autre entre-deux : l’Europe se con­stitue dans l’apparence d’une com­mu­nauté de des­tin et de civil­i­sa­tion et pour­tant cette image s’évanouit devant la réal­ité au moin­dre souci, créé d’ailleurs par cette même Europe. Ou plutôt par l’extraordinaire incom­pé­tence des « experts » qui dit-on agis­sent à sa tête. Les fous ne sont pas for­cé­ment ceux que l’on croit.

La qua­trième de cou­ver­ture du livre dit ceci : « La destruc­tion du Parthénon est un objet lit­téraire sin­guli­er, qui ouvre des champs de réflex­ion sur l’art et la ville, sur l’histoire et l’identité, sur la jus­tice et le sacré ». Cela est vrai. C’est aus­si un livre / acte poé­tique por­tant sur un autre acte, réel ou imag­i­naire, lui-même poé­tique. Et à ce titre Recours au Poème en recom­mande chaude­ment la lec­ture. La destruc­tion du Parthénon met claire­ment l’accent sur l’antagonisme véri­ta­ble qui divise notre monde en deux : la prose envahissante. La poésie, la résistance.

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