D’au­cuns penseront que je suis bien placé pour par­ler de cette pla­que­tte de Pier­rick de Cher­mont puisque, seul, un abîme nous sépare, lui le croy­ant et moi l’athée !  Ils n’ont pas tout à fait tort dans la mesure où je suis sen­si­ble à la parole qui par­court ces quinze chants. Des chants qui sont comme des laiss­es de ver­sets, comme on dit des laiss­es de mer : des ver­sets comme des mots drossés sur la page par la foi religieuse du poète. Et comme la mer est tou­jours recom­mencée, l’en­jambe­ment, par­fois présent, souligne une pen­sée coulant comme une source qui, jamais, ne se tarit…

    Pier­rick de Cher­mont célèbre à sa façon un monde dans lequel il déam­bule, un monde pris dans sa diver­sité : ville/nature, violence/douceur… Mais il n’en reste pas moins que des pas­sages comme “Demain, ouvrir au feu le silence, au verbe la présence, tel autre­fois le chant de Siméon, puits de lumière dans un puits de lumière”, même s’il me donne une idée du pro­jet de Pier­rick de Cher­mont, reste obscur au mécréant que je suis qui ignore tout de ce Siméon sans doute biblique… De même le mécréant laisse de côté toutes les occur­rences des mots Dieu, âme, chapelet, psaume… (du moins dans le sens que leur donne l’au­teur) pour ne s’in­téress­er qu’à la célébra­tion du monde qui tra­verse ces chants.

    Un poème comme le chant IX est révéla­teur à la fois de la démarche de Pier­rick de Cher­mont et de la lec­ture que je peux en faire. Si Pier­rick de Cher­mont annonce claire­ment sa quête de sens dans des expres­sions comme “Une lumière pleine de lenteur perce les flancs de mon âme” (on pense au Christ cru­ci­fié dont un sol­dat de Pilate perce le flanc de sa lance) ou “Par la foi, sat­is­fac­tion de faire tomber les âges d’or, de fab­ri­quer de l’his­toire toutes portes ouvertes”,  je peux lire cet autre pas­sage en me pas­sant de l’hy­pothèse de Dieu : “La pluie sur un parc zoologique, la pluie sur les rues de la ville. Cha­cun se rap­proche et se renou­velle, // Se revêt de mil­liers d’é­toiles et recom­mence, avec le trou­ble d’avoir été vis­ité dans ses pro­fondeurs”. L’un nomme Dieu ce trou­ble, l’autre le nomme mys­tère ou beauté du monde. Reste que les deux ont été sen­si­bles à la même réal­ité. Et je pour­rais mul­ti­pli­er les exem­ples, au risque de lass­er le lecteur. C’est que Pier­rick de Cher­mont se con­fronte au monde, au réel, tout comme les matéri­al­istes. Il en tire sa con­clu­sion alors que Guille­vic, pour ne puis­er que dans cette œuvre, en tir­era une autre par son atten­tion aux êtres et aux choses les plus hum­bles : “Oui, coqueli­cot, / Tu es l’empereur / De ton roy­aume. // Je ne sais pas t’imiter, / Mais con­tin­ue à régn­er / Sur toi comme sur moi.” (in Quo­ti­di­ennes) ou, à pro­pos d’un mod­este jardin : “Rien que le temps / Qui s’est retiré là / Et n’at­tend rien.” (in Creuse­ment).

    Les images de Dinah Diwan qui accom­pa­g­nent le texte de Pier­rick de Cher­mont sont en har­monie avec le ton prophé­tique du poète et sa volon­té de décrypter le réel (à sa façon, faut-il le redire ?). Il s’ag­it de col­lages sur un texte soigneuse­ment raturé et ain­si ren­du illis­i­ble : métaphore de la révéla­tion ? Ou quoi d’autre ?

    En tout cas, si la poésie est un out­il pour attein­dre Dieu (“Poésie, tu nous élèves à l’opiniâtre déci­sion de vivre. Poésie, mer éter­nelle du sans-hori­zon — je cueille au matin la rose, // Tu m’af­fil­ies à la terre, à la promesse de mon Dieu…”), elle est aus­si pour le mécréant ou le mys­tique sans dieu une sim­ple façon de dire le monde, dans toute sa com­plex­ité et dans tout son mys­tère, un mys­tère dont la sci­ence ne fait que reculer les limites.

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