à Mehmet Yaşin

La poésie a bien voulu me reprendre,
jusqu’à quand ? Je me hâte alors d’écrire
quelque chose : « Un dimanche après-midi
à la fenêtre. En tapant des talons
le tapis de ma cham­bre, je regarde
tomber la pluie et le temps pass­er, lent,
ne pas pass­er, pass­er, lent, en Enfance. »

Puisqu’elle est bonne avec moi, la poésie,
je con­tin­ue, assis dans ce café
d’Istanbul où les serveurs, tout beauté
svelte et jeunesse, autour de moi circulent :
« Me voici dans ma cham­bre d’aujourd’hui.
Voici l’armoire ances­trale arrivée,
à tra­vers oub­lis et temps, jusqu’à moi.
Mon armoire est musée, est mausolée,
c’est selon. Musée abri­tant des mythes :
cahiers à car­reaux des jours où j’étais
en mon ado­les­cence, où pour de vrai
je me sen­tais grand dra­maturge en herbe,
d’autres cahiers bleuis des noirs soucis
de mes vingt ans, trente ans… – autant de peines
de cœur, de ques­tions, de ques­tions blessure
ouverte – et tout ça ressas­sé jusqu’à plus
soif. Mau­solée enfer­mant des momies
surtout, à chaque instant ressuscitables,
oui, mais je ne m’en sens pas le courage.
Plutôt mau­solée où sont empilées,
dans quelque coin, quan­tité de cassettes
de répon­deur, voix jamais effacées.
Entre autres j’y retrou­verais ma mère. »

Elle a l’air de ne vouloir me quitter
de si tôt, j’ajoute alors en vitesse :
« Ma table de tra­vail. Sous des papiers,
scotché, rescotché, mon car­net d’adresses.
Plein de noms, chauds encore à ma mémoire,
rayés, mar­qués de croix. Cyprès et saules.

Suf­fit. Lever le nez de mon cahier,
laiss­er gliss­er mes yeux sur les visages
des serveurs. Comme ils vont et vont et viennent.
Liss­er les bor­ds de ce livre de poèmes
où Grand-père est olivi­er de douleur :
Con­stan­tino­ple n’attend plus per­son­ne »…

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