Elle a emmené les paroles en balade
Et les paroles ont mor­du les enfants
Et les enfants l’ont racon­té à leurs pères
Et les pères ont chargé leurs pistolets
Et fait feu sur les paroles
Et les paroles ont gémi, elles ont hurlé
Et léché lente­ment leurs blessures aveugles
Et puis sont tombées à la fin à plat ventre
Sur la terre tout en sang
Alors est venue la mort
Vêtue de ses plus beaux atours
Qui s’est arrêtée dans la mai­son du poète
Pour l’appeler de ses cris désespérés
Et le poète a ouvert sa porte
Sans se douter de ce dont il s’agissait
Et il vit la mort sus­pendue à son ombre
Et sanglotante
“Accom­pa­gne-moi”, lui dit-elle
“parce qu’aujourd’hui nous sommes en deuil”
“Et qui est mort?” deman­da le poète
“ Eh bien, toi”, répon­dit la mort
Lui ten­dant les bras
pour lui présen­ter ses condoléances

 

Tra­duc­tion, Estelle Martineau

 

 

LA PORTADORA

 

Ella sacó a pasear las palabras 
y las pal­abras mordieron a los niños
y los niños le con­taron a sus padres
y los padres car­garon sus pistolas
y abrieron fuego sobre las palabras
y las pal­abras gimieron, aullaron
lamieron lenta­mente sus cie­gas heridas
has­ta que al fin cayeron de bruces
sobre la tier­ra desangrada
Y vino la muerte entonces
vesti­da con su mejor atuendo
y detúvose en la casa del poeta
para lla­mar­lo con gri­tos desesperados
y abrió la puer­ta el poeta
sin sospechar de qué se trataba
y vio a la muerte col­ga­da de su sombra
y sollozando
“Acom­páñame”, le dijo aquélla
“porque hoy esta­mos de duelo”
“Y quién ha muer­to”, pre­gun­tó el poeta
“Pues tú”, respondió la muerte
y le extendió los brazos
para dar­le el pésame

 

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