Chaque après-midi je la voy­ais à une rue de distance,
Au-dessus des vête­ments ten­dus comme des vis­cères au soleil 
Plus haut que les objets livrés aux intem­péries des terrasses ; 
Par la fenêtre d’un neu­vième étage elle sor­tait une jambe
Qui accrochait du vide, comme une enfant souriant
À une araignée ven­imeuse empris­on­née dans le creux de sa main 
Sa jambe était une invi­ta­tion pour la rue déserte,
Un appât encore jeune pour les douzaines de mètres du néant, 
Un appel de chair et d’os pour l’as­phalte vorace.
Était-elle mar­iée ou séparée, mère ou fille, ou bien folle ;
Fugueuse ou junkie, livrée à un rêve,
Per­due dans un autre, trou­vée par le cri d’Ed­vard Munch,
Je ne le saurai jamais ; elle non plus.
Elle a choisi midi pour se convertir
En ce qui reste d’un oiseau sur le sol,
En ce qui reste de la beauté du savon dans les égouts,
En ce qui nous effraie des man­nequins jetés sur la terre en friche, 
En l’ultime cire anonyme de la forme humaine.
Un polici­er cou­vrit ce qui restait avec un drap prêté,
Que j’ai revu lavé sur la ter­rasse, sous­trait bru­tale­ment à maintes reprises 
De son éphémère ser­vice de linceul ; comme si le sang persistait 
Là dans la trame, et la sui­cidée à sa fenêtre, antérieurs à tout ; 
Un anti-temps per­ma­nent qui occupe toile et corps
Et qui ani­me depuis lors l’hor­reur lumineuse, le présent perpétuel 
De chaque midi sanglant et heureux.

 

 

extrait du recueil : Les Imag­i­na­tions, éd L’Har­mat­tan
Tra­duc­tion Jean Dif

 

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