Né un 21 décem­bre 1923, Roger Munier nous a quit­tés le 10 août 2010. L’homme et le poète ont beau­coup agi pour la vie de la poésie en France, à la radio en par­ti­c­uli­er. Avoir traduit Hei­deg­ger, Juar­roz et Silé­sius et écrire cette Vision… Rien ne ressort ici du hasard. À nos yeux en tout cas. Une vie entière con­sacrée à la ver­ti­cal­ité de l’homme, à cette vision de la poésie, explic­itée ailleurs par Octavio Paz, selon laque­lle le poème est par­tie inhérente de la vie humaine. Et cette vision con­jointe : le poème est l’homme. Une vie d’écriture accom­pa­g­née en fidél­ité par Gérard Pfis­ter et ses édi­tions Arfuyen, onze livres édités entre 1980 et 2012. Cette fidél­ité, un geste poé­tique aujourd’hui.

Au long de cette Vision, Roger Munier suit une voie étroite alliant poésie, théolo­gie et philoso­phie. Une voie qui donne sa voix per­son­nelle à l’œuvre du poète :

 

Pourquoi voudrait-on par­fois qu’une chose dure tou­jours ? On ne peut guère met­tre en regard que le désir, insen­sé lui aus­si, que rien n’ait jamais été.

 

Pour­tant ce n’est pas « nou­veau », cette façon d’allier ces trois manières d’être de l’homme. Ce n’est pas « nou­veau » au sens bête­ment pro­fane de ce mot, sens dans lequel la terre de France est engluée. C’est pleine­ment nou­veau au sens poé­tique du terme, car toute poésie est une œuvre nou­velle quand elle est poésie, par cette manière qu’a le poète de tra­vailler la matière des mots dont il s’empare. Et le poète Roger Munier est là, dans cette manière de polir son pro­pre chemin sans renier la tra­di­tion dans laque­lle son ate­lier s’inscrit. Silé­sius ou Hei­deg­ger, Maître Eck­hart aus­si passent par là quand on lit Munier. Par­ti­c­ulière­ment dans ces textes où le poète tra­vaille la matière du néant.

 

Dire le néant « est » est con­tra­dic­toire dans les ter­mes, sans doute. Mais rien que là. Nous n’avons, touchant le néant, que des obsta­cles de mots.

[…]

Le rien n’est pas inac­ces­si­ble. Il est ce qui se dit dans ce qui est, sans être rien de ce qui est.

Forme per­son­nelle aus­si : les textes s’enchaînent en une démon­stra­tion logique, du moins en apparence, pour renaître au cœur de la poésie, comme un long poème. Et par­fois, des éclats boud­dhistes rejoignent Silé­sius ou Hei­deg­ger. Tra­vail­lant le néant, Munier affirme l’amande même de ce qu’est la poésie : un état de recon­nais­sance de la pleine réal­ité de la vie, le fait de vivre en mourant et de mourir en vivant. Une réal­ité pleine et entière qui nous échappe sans cesse si nous n’y prenons garde. C’est cela la vision, celle de la pleine et entière réal­ité, vision de laque­lle l’homme Munier est sor­ti émer­veil­lé. Et en effet, celui qui voit la vie en son entièreté, et la mort en son entièreté, et non plus comme deux choses con­tra­dic­toires, celui qui du moins voit le com­plé­men­taire en ce con­tra­dic­toire appar­ent de vivre et de mourir, celui-là ne peut que s’émerveiller. Un peu comme l’enfant qui trou­ve une réponse à une ques­tion. Vision est un texte qui n’a pas fini d’accompagner ses lecteurs à venir.

 

Roger Munier est né en 1923, un 21 décem­bre, et décédé en août 2010. De for­ma­tion philosophique et théologique, il a tra­vail­lé la matière du précipice, à la fron­tière pré­cise entre le vis­i­ble et l’invisible. En cela, Roger Munier, dans tous ses écrits, était avant tout un poète. Directeur de l’extraordinaire col­lec­tion L’espace intérieur chez Fayard, tra­duc­teur. Ses livres, sou­vent inclass­ables selon les imbé­ciles critères con­tem­po­rains, appor­tent un son nou­veau, à la lisière de toutes les caté­gories dites lit­téraires. Arfuyen, édi­teur fidèle, a pub­lié Roger Munier durant trente ans. 

plus d’in­for­ma­tions ici : http://rogermunier.com/

 

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