Le recueil s’ouvre sur une pré­face dense signée Olivi­er Ger­main-Thomas, duquel on a longtemps admiré la voix et les dia­logues de son émis­sion For Intérieur, mal­heureuse­ment arrêtée sur France Cul­ture. Le ren­dez-vous était de haut vol, il manque à nos oreilles et à nos âmes. L’homme poète et voyageur Ger­main-Thomas est un fin con­nais­seur des poésies pro­fondes. Comme des liens qui unis­sent de façon sou­vent voilée l’Orient et l’Occident. On les croit éloignés et il suf­fit pour­tant d’une déam­bu­la­tion pour que ce qui paraît épars s’unisse. Olivi­er Ger­main-Thomas con­naît aus­si très bien l’Inde, pour y être sou­vent allé. Cette Inde qui est au cœur du recueil de poèmes de Pierre Bon­nasse. Ger­main-Thomas rap­pelle com­bi­en « le ray­on­nement spir­ituel de l’Inde aura touché en pro­fondeur au 20e siè­cle des écrivains de langue française par­mi les plus intens­es ». Et de citer Mal­raux, Simone Weil, Dau­mal, Michaux… Il est vrai que L’Amant du Vide est empreint de poé­tique ori­en­tale et indi­enne, de chants. L’écriture de Pierre Bon­nasse est ici le lieu d’une ren­con­tre entre ori­ent et occi­dent, entre tra­di­tions indi­ennes et européennes. On aura sans doute le sen­ti­ment de lire une poésie venue de l’Inde intérieure, à juste rai­son, mais il ne faut pas s’y tromper, cette poésie est aus­si imprégnée de tra­di­tion venue d’Europe, du Grand Jeu à la théolo­gie néga­tive, en pas­sant par Jean de La Croix. « Nous avons ren­con­tré l’Amour et nous y avons cru » dis­ait ce dernier. Et en effet, la dis­po­si­tion amoureuse à recevoir le Verbe est le point qui réu­nit le sacré en tous les hommes. Partout. Aux yeux du pré­faci­er, la mise en sit­u­a­tion de l’Occident en rela­tion avec l’Orient n’est pas une vaine entre­prise, elle est même d’importance « en ces temps où une névrose sui­cidaire con­duit l’Occident à renier son mariage avec l’Etre, la cul­ture de l’Inde plus que toute autre peut apporter un stim­u­lant vital ». Le décor est posé :

 

Ruis­selle­ment

 

Quand la tête se dépose dans le cœur
Et le cœur dans le corps déposé
Il m’est par­fois donné
De répon­dre à l’appel
D’éprouver le goût fugi­tif d’une grâce
Payée d’avance à une Vie
Qui coule à tra­vers moi
Et, venant d’en-Haut,
Me tra­verse, et la tête et le ventre –

Assis sur les march­es du miracle
Le ruis­selle­ment du seul Soleil
Dis­sipe la sourde rumeur des larmes
Qui n’en finis­sent jamais de pleurer
Sur les rebor­ds d’un monde au-delà des mots

D’un monde à tou­jours reconquérir
Dans chaque silence
Souf­flé par les secondes –

Qui suis-je ?

Ne réponds pas
Vis sim­ple­ment le vertige
De voir ton Vrai Visage
Qu’aucune forme ne saurait saisir
Sans l’abîmer de mensonges –

 

Le recueil est un hymne à la libéra­tion de l’homme de lui-même, à ce que cha­cun dénude le masque qu’il est tant qu’il ne regarde pas au-delà des illu­sions. C’est un hymne à l’amour le plus pro­fond, celui qui unit chaque homme avec le réel de lui-même, très au-delà de toute forme de nar­cis­sisme, et ain­si avec le tout autre en tous les autres. Nous sommes ici dans la poésie et dans la spir­i­tu­al­ité, et cer­taine­ment, de ce fait, au creux même de ce qu’est en pro­fondeur la poésie. Pierre Bon­nasse par­le de la délivrance dont tout homme est por­teur. D’un au-delà de l’ego et de l’avoir. Et le recueil se ter­mine par l’injonction « Tu es cela ! ».

On est ten­té d’ajouter J’ai dit !

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